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    Une demie heure plus tard... 

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    - Fais de beaux rêves, chuchote tout bas la jeune prostituée en déposant un léger baiser sur le front de son client.

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    En effet, elle vient de constater que le jeune homme s'est finalement assoupi à ses côtés, dormant désormais comme le plus adorable des anges.

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    D'ordinaire, cette prostituée vive et nerveuse ne laisse jamais ses clients s'endormir à ses côtés. Et surtout pas dans son propre lit...

    Mais pour ce soir, elle se sent bien obligée de faire une exception. Le minois adorable de son jeune compagnon l'aidant énormément dans ce sens. Le réveiller serait criminel...

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    Et elle ne peut se résigner à le tirer ainsi de ses songes pour lui ordonner de quitter les lieux, en la payant au préalable. Impossible...

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    Le verbe "Payer" lui est enfin revenu à l'esprit... Mais c'est qu'elle aurait presque fini par oublier cette finalité, qu'elle vient de se remémorer honteusement, avant de commencer à calculer combien est-ce qu'elle devrait empocher pour avoir couché avec ce petit ange endormi pendant.. pendant...

    « Hum... » Elle se met à hésiter quelques secondes, avant de se relever de son lit pour se vêtir d'une nuisette et se mettre à la recherche d'une pastille anti-toux pour la gorge.

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    En effet, elle vient de réprimer un toussotement et cela ne lui dit rien qui vaille. Un début d'angine qui souhaite pointer le bout de son nez pour perturber son habituelle santé de fer? Mais cela hors de question!!

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    Parce qu'être souffrante est considéré comme une tentative de fainéantise par son maquereau et elle sait bien que même a l'agonie, elle sera tout de même trainée de force sur le trottoir.

    Alors autant éviter de ne pouvoir aller au "boulot" qu'en titubant, ce soir : par précaution, elle s'empresse de se diluer un Aspégic dans un verre d'eau fraîche avant de boire deux grosses gorgées d'un sirop pour la toux.

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    Avant de retourner discrètement s'allonger sur son lit, aux côtés de son petit ange qui dort encore profondément sous ses quelques poils de barbe pas rasée.

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    Elle en sourit d'amusement, rapidement émue de se demander qu'est-ce que ce garçon avait pu connaitre comme drame dans sa vie récemment pour attérir dans un monde qu'a pas l'air d'être habituellement le sien.

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    Oui, parce que les hommes dépressifs qui débarquent "aux putes" avec une barbe de trois jours et des cernes encore rouges, elle en a connu bon nombre. Une femme est incriminée, bien souvent.. Très souvent, même, se souvient rapidement la blondinette en se rappelant que l'amour est une liqueur qui devient poison lorsqu'il s'évapore.

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    Mais cette justification quant au probable passé de son petit ange ne convient pas à la jeune femme. Une pointe de jalousie, peut-être.. Elle s'en pince en tout cas les lèvres du bout des dents.

    Car se dire qu'il y a sans doute une femme derrière le regard triste et abattu de son petit apollon titille profondément son égo et sa sensibilité. A sa grande surprise, d'ailleurs. Elle qui ne s'attache habituellement jamais à ces dépravés pervers souvent anéantis par la vie...

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    "Il y a des coups de foudre qui font des bleus au coeur"  [Pierre Perret]

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    Sans doute est-elle victime d'une poussée de fièvre. Oui, cela ne peut être que ça. Qui pourrait expliquer que cette femme durcie par la vie est désormais en train de réfléchir comme une gamine émoustillée devant le garçon qui lui plaît. Et Dieu sait que la blondinette déteste cela. N'être qu'une fille.. N'être qu'une idiote amoureuse et fragile, dans les bras d'un homme. Comblée, raide dingue, aveugle et complètement dépendante.

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    Parce que lorsque la magie cesse d'opérer, le champ de roses devient champs de batailles et les mots d'amour deviennent lames aiguisées lancées avec cruauté.

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    Et tout cela, elle a déjà donné...

    Et puis de toute façon... jamais deux fois avec le même client.

    On ne s'attache pas aux clients. On ne les revoit pas à l'extérieur. On ne voit en eux que l'argent liquide qu'ils pourraient sortir de leurs portefeuilles de vicieux frustrés.

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    Mais lui n'était pas de ceux-ci...  « Lui a la base ne cherchait qu'à l'aider, qu'à la sauver.. qu'elle se souvient soudain en se retenant de rire, émue et vraiment amusée par ce petit bout d'homme insouciant et héroïque.

    « Oui, héroïque, tout de même! » qu'elle évite de pouffer désormais en le revoyant menacer l'homme en voiture de sport. C'est sûr que ce petit bisounours n'avait pas froid aux yeux, la veille! Il aurait réellement pu lancer son hocher sur le missant monsieur!!!

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    Attendrie et subitement rougissante, elle se recouche pour se lover doucement contre lui, tout en l'enlaçant délicatement.

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    Après tout, cela ne mange pas de pain et n'engage à rien! Elle s'en persuade...

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    Elle ne fait rien de mal et ne tente pas de se la jouer "Pretty Woman", elle n'est pas une jeune prostituée qui tombe amoureuse de son client. Non. Elle en est certaine. Elle ne fait là rien de mal... Mais elle déglutit tout de même. De honte...

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    Parce qu'il est mignon et attachant, certes... Mais ils ne sont pas du même monde.


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    - Pfft, quelle plaie, se soupire à lui-même Raphaël en maugréant tout ce qu'il peut.

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    Il fallait bien que cela arrive. Leur première vraie dispute de couple ! Raphael vient de fuir son appartement pour y laisser une petite amie plus que chiante ce soir, car obstinée sur le sujet "Voisine succube!". Pour cette raison, le jeune homme préfère cent fois rester là, assis sur ce banc, sous la neige et dans ce vent glacé.

    - Hey!

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    - Ah, salut, se retourne Raphaël en apercevant sa voisine de palier arriver derrière lui d'un pas rapide, comme par hasard.

    « Mais si sa petite amie le voyait discuter avec celle qu'elle a traitée de tous les noms il y'a quelques minutes, elle le tuerait.. » songe ensuite Raphaël en laissant échapper un long soupir, tandis que la jeune Silvia s'assied a ses côtés sur son banc.

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    - J'adore la neige, sourit la jeune fille sans attendre et en attrapant un flocon dans la paume de sa main, - on a de la chance cette année. Il fait doux et il neige souvent!

    - Oui.

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    - Tu vas rire, tout à l'heure j'ai failli aller toquer chez toi pour te ramener ta boite de sucre! Heureusement que je t'ai vu juste après par la fenêtre et me suis désisté, parce que sinon, ouïe ouïe ouïe!

    - Je ne sais pas si je dois en rire, mais bon.. En hausse les épaules le jeune homme avant de se relever du banc en reprenant, - je vais remonter, moi. Pour le sucre, je t'ai dit que ce n'était pas pressé.

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    - Allez courage! On a tous connu ça, reste légère et amusée Silvia avec un clin d'oeil, - ta copine, ça a l'air d'être une ouf!

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    - Eh eh! Non, elle est géniale, lui offre pour unique réponse Raphaël en lui rendant son clin d'oeil, mais pas de la manière qu'elle l'aurait souhaité : à l'intonation de sa voix, elle n'a réussit à interpréter que ce message-là, "désolé, mais je suis fou amoureux", et cela l'agace prodigieusement. Elle n'aime pas que les beaux gosses aient déjà une petite amie et lorsque c'est le cas, elle cherche toujours la faille si le jeune homme l'intéresse. 

    - A plus tard alors! qu'elle susurre alors le plus chaleureusement possible en voyant son interlocuteur tourner les talons pour retourner a l'intérieur,

    - Ouaip, c'est ça, à plus! renvoie Raphaël sans s'étendre sur d'éventuelles gentillesses. Il n'est pas là pour se lier d'amitié avec cette fille, car sa vie en dépend presque !


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    - Hey, ça va pas? s'inquiète Jeffrey dans un murmure en direction de sa voisine de lit qui n'arrête plus de gigoter, se retourner dans tout les sens ; agitée, peut-être stressée, trop fatiguée, nerveuse, il n'en sait rien..

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    Il dormait profondément et ces divers mouvements - dont certains très brusques - l'ont tiré assez brutalement de ses songes. Sans doute est-elle en train de faire un vilain cauchemar, sans doute..

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    - Humm.. émerge soudain la jeune femme, mais assez péniblement et en clignant des yeux pour se redessiner correctement les traits de celui est perché, l'air inquièt, au dessus d'elle, - Hummm.. J'ai soif..

    - Je vais te chercher de l'eau, se propose immédiatement Jeffrey en jaillissant hors du lit, - ne bouge pas! Et.. je vais chercher mon boxer qui a dû valser vers euh.. euhh.. Qu'il continue en se parlant à lui-même, perplexe.

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    - Fais-moi un Aspégic, s'il te plaît, dans le premier tiroir de la cuisine. Merci.. Demande timidement la blondinette d'une voix faible.

    « Ces quelques heures de sommeil ne lui ont apparemment pas apporté le soin et la guérison qu'elle espérait, » se dit la jeune femme avec dépit en se passant une main sur le front.

    Brulante! Mais elle s'en doutait. En se réveillant aussi faiblarde et avec un tel mal de gorge, elle s'en doutait.

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    Quelle poisse. Pourtant, il faut absolument qu'elle se requinque. Elle n'a que quelques heures pour se remettre d'aplomb!

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    - Tiens, lui tend gentiment Jeffrey, un verre d'eau avec son médicament dilué a l'intérieur, - tu es toute pâle, tu es sure que ça va?

    Il tente de lui passer une main sur le front pour répondre lui-même à sa question.

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    - Arrête ça, le fusille aussitôt du regard sa malade en repoussant brutalement sa main, - non mais tu te prends pour qui là?!

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    - Désolé, lui sourit affectueusement Jeffrey en se reculant pour revenir s'asseoir sagement sur le rebord du lit.

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    - Humpf.. n'arrive qu'à lui marmonner son interlocutrice, avant de se recoucher, boudeuse, en se tournant face au mur.

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    « Pourvu qu'il se rallonge à ses côtés... » qu'elle se met ensuite a espérer secrètement. Bien sûr, elle préférerai mourir plutot que de le lui demander directement, -fierté oblige!- alors... A la place, elle se contente de se décaler un peu plus vers lui.

    Ainsi, peut-être comprendra t-ile qu'elle est en train de lui faire passer un message... Oui. Elle aimerait tant l'avoir contre elle en ce moment précis. Ne pas être seule et abandonnée avec sa fièvre. Sentir sa présence chaleureuse à ses côtés. Avoir ses bras qui l'enlacent...

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    - Déjà plus de cinq heures, pfiouh! remarque soudain Jeffrey dans une exclamation en se laissant retomber sur le lit. Sur le dos, les mains derrière la tête.

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    - Hmmmmm..

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    - Oui? revient rapidement le jeune homme contre sa blonde, profitant de ce léger gémissement pour se coller contre elle et l'enlacer avec douceur.

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    Une sensation délicieuse dont la jeune prostituée se délecte rapidement, en ne disant plus un mot. En silence... Elle profite de cet éphémère instant...

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    De ces bras chauds et protecteurs. De ces lèvres qui lui effleurent la peau du dos pour y déposer de doux et délicats baisers, tout en la faisant frissonner de plaisir... Cela faisait si longtemps que la jeune femme n'avait plus eu l'occasion de gouter à tous ces plaisirs là, qu'elle ne bouge désormais plus d'un millimètre. Terrifiée à l'idée de mettre fin à ce merveilleux moment où lovée contre ce torse, ce soir, elle est femme de nouveau.

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    « Mais jamais deux fois avec le même client. » 

    « Mais on ne s'attache jamais aux clients. »

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    - Tu devrais rentrer chez toi.. Je.. Je ne sais pas ce que tu fais encore ici..

    - Hum.. Tu veux que je m'en ailles...?

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    Question piège. La jeune femme se sent soudain très mal et se mord furieusement les lèvres pour s'empêcher de sortir stupidement quelque chose qu'elle pourrait finalement regretter. La parole est d'argent, mais le silence étant d'or, elle choisit alors de se taire..

    - La salle de bain c'est par où? Je vais te faire une compresse avec un gant! Tu as des sueurs froides. murmure doucement Jeffrey en embrassant le coup de sa partenaire.

    - La pièce du fond...

    - Merci! fait Jeffrey avec politesse avant de filer mettre son idée à exécution. Il revient quelques minutes plus tard avec une petite bassine remplie d'eau et un gant de toilette.

    Sans hésiter, il se met ensuite à genoux sur le lit et s'avance vers sa jeune malade pour l'attraper et la soulèver légèrement dans le but de l'allonger délicatement contre lui, entre ses jambes, avant de l'enserrer tendrement de ses bras.

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    - M.. Mais, en déglutit de gêne la blondinette, honteuse d'être ainsi traitée en princesse, voire reine. Cette soirée prend décidément une drôle de tournure.. Une tournure qu'elle aimerait tant contrôler. En vain. Son interlocuteur et ancien client lui faisant de nouveau un bien fou en lui passant cette compresse imbibée d'eau sur le front.

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    Elle est aux anges. Lovée et câlinée de la sorte, elle est aux anges...

    - Co..Comment t'appelles-tu? qu'elle lui demande timidement et en rougissant.

    - Jeffrey. Et toi?

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    - Merci pour tout, Jeffrey... Moi c'est Ana.

    - Essaies de dormir un peu, Ana, ça te feras du bien...





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