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 === Fevrier ===

Un mois de février grisâtre et pluvieux pointe son nez dans la région des Bauer, qui commencent à avoir un coquet petit nid douillet ; un bel appartement en plein centre-ville qui se meuble de plus en plus au fil des jours et surtout au gré des envies de la maîtresse de maison.

Le couple vit ici, en compagnie de Samuel qu'ils hébergent pour l'aider à se remettre sur les rails de la vie après une profonde dépression et de nombreux soucis personnels ; un passé douloureux que le jeune homme n'expose que très rarement et uniquement, à son amie Éva.

Jeffrey et sa petite famille, eux, vivent depuis peu en face des Bauer, sur le même palier, et leur cocon est tout aussi confortable que celui de leurs voisins adorés. Le bonheur et la joie de vivre planent donc entre ces deux appartements et nul ne pourrait imaginer qu'un jour, la roue du destin pourrait de nouveau tourner du mauvais côté. Pour chacun de ces protagonistes, elle est aujourd'hui en leur faveur et l'avenir ne pourra que leur sourire.

Raphaël esquisse cependant et de temps en temps, une mine boueuse à l'encontre de Samuel ; en effet, le jeune Bauer souhaiterait que le concerné se décide à quitter son foyer pour s'en aller faire sa propre vie, ailleurs, et loin de sa fiancée, de préférence. Cela n'est pas de la jalousie, mais plutôt un certain agacement, voire dégoût. Raphaël trouve ce type plutôt malsain et effrayant, parfois.

Mais son énervement vient surtout du fait que les pique-assiettes, aussi gentil et serviables soient-ils, cela va cinq minutes, qu'il grommelle souvent à Éva dans l'intimité pour qu'elle lui soupire toujours en conséquence que son ami n'a aucun autre endroit où aller et qu'il ne serait pas humain de le mettre à la porte. Le pauvre a besoin d'aide, de soutien et d'amis.

Quand un jeune couple qui attend un bébé aurait besoin d'un peu plus d'intimité! Rappelle toujours Raphaël, de moins en moins compréhensif envers la situation de celui qu'il juge comme l'indésirable de la famille.

Loin d'être idiot, Samuel est bien conscient de l'agacement de son hôte masculin à son égard.

Il se raccroche donc désespérément et toujours un peu plus à Éva, en allant même jusqu'à, de temps en temps et même très souvent, lui rappeler qu'elle mérite mieux qu'un égoïste comme Raphaël.

Et dès qu'il le peut, il n'omet évidemment jamais de narrer de nouveau des bouts du récit de sa vie passée qui a été profondément malheureuse et torturée. Habilement, l'air désespéré, et la bouille anéantie, il appuie intelligemment sur son traumatisme. Prends presque un plaisir malsain à le relater trop souvent.

Un frère psychopathe et violent, qui avait pour habitude d'abuser de lui dans sa jeunesse. Une mère qui avait depuis longtemps fait son choix, entre ses deux enfants, refusant ainsi de reconnaître les mauvais traitements que le cadet de la famille subissait régulièrement, et pour finir, un père mystérieusement disparu depuis cinq ans. Une absence soudaine qui fut interprétée à l'époque comme une bénédiction ; enfin, la paix reviendrait dans la maison familiale si l'alcoolique violent disparaissait. Mais le salaud laissait derrière lui un grand fils qui reproduisait ses vices sur le plus jeune, un jeune adolescent frêle et chétif qui n'avait pour unique moyen de défense que de tristes et pathétiques ; « s'il te plait, arrête ».

 

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— Misère, mais quel était donc mon pourcentage de chance de tomber sur toi ici ?!

— Certainement plus grand que celui que j'avais de te croiser venant rendre visite à ton frère. Rétorque aussitôt Vanessa, désappointée.

— Je ne relèverais même pas. Il ne fait pas un petit peu sombre dans cette chambre ?! Tu t'es crue dans une cave, ou quoi.

— La nuit tombe, il n'a donc pas besoin de lumière, il se reposera mieux ainsi, répond Vanessa avec impassibilité, le visage figé et sans expression.

— Il se reposera ? Mon dieu, voilà qu'elle va me faire le couplet de l'utopiste aveugle qui n'accepte pas la réalité, ironise la soeur de l'homme inconscient, Alicia Muller, tout en allant allumer la lumière en soupirant avec dépit et en haussant les épaules.

— Éteins-moi ça tout de suite ! La cingle aussitôt Vanessa, sortant de sa léthargie dépressive et bondissant hors de sa chaise longue telle un diable bondit hors de sa boîte.

— Tu touches à cet interrupteur et j'appelle la sécurité ! Proteste en retour Alicia en repoussant vivement son interlocutrice lorsque celle-ci arrive à son niveau,

— Non, mais pour qui est-ce que tu te prends ?! Qu'elle reprend encore, avec toujours plus de froideur, — À me la jouer veuve éplorée devant le corps de mon frère ?! Tu penses que ton petit cinéma m'émeut ?! Tu penses être crédible rien qu'une seule seconde devant moi ?! Parce que si c'est le cas, laisse moi te dire que tu te trompes lourdement !! je ne te croirais jamais capable de sentiments humains, Vanessa Beckers ! Alors, épargne toi des efforts et soi toi-même en dégageant de cette chambre au plus vite, tu n'as rien à y faire.

— Sincèrement, je pense avoir plus ma place ici que toi, qui n'a mis je sais pas combien de jours avant de daigner te ramener à son chevet ! Alors tes accusations infondées, tu te les gardes Alicia, si tu ne veux pas que moi, j'appelle la sécurité.

— Vas-y, tente, cela pourrait être à voir, car je me demande qui de nous deux ils jetteraient dehors ! Qui de nous deux est de trop, entre ces murs ? L'ex-femme diabolique qui a passé sa vie entière à le réduire en lambeaux, ou la soeur aimante et dévouée ?

— AIMANTE ET DÉVOUÉE ?! Ne peut s'empêcher de souligner Vanessa dans un éclats de rire sarcastique — arrête ton char, Alicia ! Tu n'as jamais été présente dans sa vie et je peux te dire que c'est totalement réciproque, car tu ne représentes strictement rien pour lui non plus !

— Si je... de quoi ?!? Accuse douloureusement la brunette aux yeux bleus, avant de se reprendre et repartir au combat — Mais je n'ai rien à te prouver, Vanessa ! Et Erwan sait bien pourquoi j'ai été si absente dans vos vies, ces dernières années ! Il sait bien, lui, que ce n'est qu'à cause de TOI ! Lui, je l'aime plus que tout au monde, moi ! Mais toi, je te hais. Et pendant dix-huit ans, oui, j'ai du me priver de beaucoup de bon temps avec mon frère, tout ça pour t'éviter, TOI ! Et tu le sais en plus, sorcière. Mais aujourd'hui, ce temps est révolu, car tu n'existes plus dans sa vie. S'il se réveille un jour, il épousera Laur.

— Ça... ça reste à prouver, ma grande.. renvoie maladroitement Vanessa en laissant soudainement paraître un air abattu qui trahit un évident désespoir, mais ne convainc cependant pas son interlocutrice qui ne croit plus en elle depuis bien longtemps, — Parce que je n'ai pas dit mon dernier mot, qu'elle reprend en ravalant sa salive — et que tu l'acceptes ou non, on est lié, lui et moi... justifie l'ex-Muller, comme si elle ressentait un besoin de se justifier face aux accusations reçues — Je l'aime, et il le sait...

— Si tu l'aimes, lâche le et accepte de sortir définitivement de sa vie! rétorque froidement Alicia, sans ménager la peine de la femme qu'elle maudit chaque jour un peu plus.

— Mais je l'ai fait ! Je te signale que c'est lui qui est venu me rejoindre au Canada ! N'y vois-tu pas un signe ?! Une raison à cela ?! Pourquoi ne l'acceptes-tu pas, à la fin ! Qu'il puisse m'aimer et que cela puisse être réciproque ! Commence à s'énerver Vanessa, perdant patience et sang-froid — tu, tu as vu ma tête ?! Ne me trouves-tu pas horrible ?! Je ne dors plus depuis son accident, mes nuits ne sont rythmées que de prières et de pleurs ! Je m'inquiète et le supplie de se réveiller plus que vous tous réuni, famille et amis compris ! S'il y a une personne sur terre qui prie pour son réveil, car elle n'est rien sans lui, c'est moi et personne d'autre !! Alors, tu vas apprendre à me respecter petite pouffiasse, car que tu le veuilles ou non, Erwan et moi, nous nous aimons, vraiment ! Si tu étais moins bornée et aigrie, tu le verrais ! Et...et lorsqu'il se réveillera, oui parce qu'il se réveillera, je le sais, et bien nous reprendrons notre vie là où nous l'avons laissée il y a deux ans ! Nous en avons fait des erreurs, lui et moi, et moi sans doute plus que lui, voire que n'importe qui, mais au final nous sommes encore là, et je me battrais pour le récupérer ! Je me battrais pour lui dire que je l'aime !!! Regarde-moi, Alicia, regarde-moi ! J'ai changé !

 

♪ All my rage - Laura Marling ♪

 

— Désormais je serais capable de ramper à ses pieds, dans un océan de larmes, tout en le suppliant de me pardonner. Je deviendrais son esclave même s'il le désire, je me tatouerais son nom partout sur le corps en hurlant au monde à quel point je suis dingue de lui, mais je le récupérerai au final ! Parce qu'il est tout ce que je veux et que je n'ai plus peur de braver mille tempêtes ou armées pour l'avoir ! Je vous affronterais tous, bande de détracteurs vicieux à notre couple ! La jalousie d'un amour aussi fort que le nôtre vous étouffe, voilà tout !

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♪ Requiem - Kyrie ♪

 

Cela va bientôt faire deux mois que Tobias et Ellie pourraient se vanter d'avoir enfin, eux aussi, leur appartement en amoureux ! Les jours s'écoulent dans la joie et la sérénité pour les deux jeunes qui ne vivent que d'amour et d'eau fraîche, depuis Noël. Ils profitent pleinement de la vie dans un premier temps, jusqu'à ce que le déclic de faire quelque chose de leurs vies survint enfin.

 Ellie commence donc à arpenter alors toutes les agences d'intérim de la ville, dans l'espoir de décrocher un petit boulot moyennement payé, certes, mais payé tout de même. Les finances des amoureux commençant à tendre vers le rouge ! Et la jeune fille, fière bestiole de son état, n'est pas de ceux qui se permettraient aller mendier à ses parents des sous pour subvenir à ses besoins. Elle préférerait mourir plutôt que de s'abaisser à cela ! Montrer à son père qu'elle a échoué dans sa tentative de devenir une adulte plus tôt que prévu. Lui confirmer ses craintes et doutes à son sujet, comme quoi elle n'est encore qu'une enfant qui a besoin du cocon familial pour survivre.

Tobias de son côté, n'est pas aussi actif que sa petite amie et se laisse aller à l'inactivité et lentement, à la dépression, en ne faisant plus rien de ses journées à part ses habituels aller-retour canapé/frigo/chambre. Un classique de dépressif chômeur. Il n'a plus le moindre projet, car ne souhaite ni se prendre un sot métier nourrissant comme Ellie qui a peu de revendications, ni reprendre d'éventuelles études supérieures. Il se juge lassé et en bout de chemin et ce ne sont pas les remontrances de plus en plus fréquentes de sa petite amie qui l'aident à avoir une meilleure opinion de lui, qui n'est qu'un raté, un fini, qu'il juge en se regardant dans le miroir tous les matins pour constater sa barbe non rasée pour cause de flémingite aigüe, ainsi que ses kilos en trop. 

Il n'avait qu'un seul rêve dans la vie, un seul rêve et une unique envie... Que son groupe aujourd'hui défunt brille dans le monde de la musique. Il n'avait que ça pour le rendre heureux dans son existence, cette place de batteur au sein des Troublemaker et c'est désormais qu'il l'a perdue, qu'il réalise pleinement sa perte, souvent entre des sanglots étouffés. Voire sous le jet de la douche pour ne pas qu'Ellie l'entendre pleurer... Les lumières de la scène lui manquent tellement ! Il tuerait pour les retrouver. Grimper à nouveau sur une estrade pour accompagner un chanteur qui va faire hurler une foule. Sa batterie n'est que sa meilleure amie dans la vie et c'est aussi cela qui noircit chaque jour un peu plus son univers ; ce n'est pas dans ce petit appartement qu'il pourra espérer un jour ramener son instrument pour en jouer, au vu des murs mal insonorisés qui séparent les différents logis. C'est donc pour cette raison que sa bien-aimée batterie est, et ce, depuis déjà deux mois, tristement en train de pourrir dans un garage puant loué à quelques rues d'ici. Autant dire que l'idée d'aller jouer tout seul de son instrument, là-bas, dans ce quartier plutôt malfamé, ne vient pas vraiment à l'esprit de Tobias, aussi passionné soit-il... Un jour, il a pourtant tenté l'exploit, étant vraiment trop en manque de son instrument et des sons qui s'en dégageaient toujours lorsqu'il maniait les baguettes, pour finalement se retrouver effondré sur le sol de son garage. Il n'en avait pas le courage. Jouer ainsi, tout seul, comme un pauvre clochard abandonné et sans amis, il ne pouvait plus s'y résigner, son coeur volait en éclat.

« Vivre sans passion signifie avoir perdu la raison. » 

Alors il fini par craquer en décidant de se mettre intensivement à la recherche d'un nouveau groupe, il enchainerait les castings, tenterait de se faire pistonner, ferait jouer tout ses contacts dans le monde de la musique, supplierait autant de fois que nécessaire et autant de personnes qu'il le faudrait. Il serait même prêt à cirer quelques pompes ! Pour que quelqu'un le remarque, l'engage à quelque chose, n'importe quoi, en rapport avec la musique, la scène... Après tout, sa cause n'est pas désespérée, qu'il cogne du poing sur la table, il a toujours été un excellent batteur et à l'époque déjà, à Berlin, un petit groupe avait tenté de le débaucher. C'était l'époque où les TroubleMaker subissaient l'humiliation que leur chanteur incestueux leur avait fait subir. On avait alors proposé à leur batteur et dans le secret de les quitter pour rejoindre un autre petit groupe montant, car l'avenir de celui-ci pouvait être brillant, mais qu'il ne décollerait jamais auprès de son groupe actuel. Tobias avait refusé catégoriquement et même avec quelques insultes, cette proposition pourtant alléchante. Il le regrettait amèrement aujourd'hui... Mais un vieil adage rappelle bien que dans la vie, il n'est jamais trop tard...

Alors, le jeune batteur déchu se relèverait, aux côtés de son amie Katrine qui l'a toujours soutenu, elle, dans ses choix de retour vers la musique.

Avec elle et grâce à son amitié, il reprendra sa vie en main, épaulé par cette main tendue qui devient lentement mais sûrement, au fil des semaines, sa meilleure amie.

 

 

 

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=== Avril ===

♪ Tier - Rammstein ♪

Deux mois plus tard, et alors que le batteur saisit la chance de sa vie en signant un contrat officiel avec le groupe Something Corporate ; qui est en pleine reconstruction après un drame interne ; il se sépare presque en parallèle avec sa petite amie qui a très mal vécu ces dernières semaines durant lesquelles il s'est rapproché toujours un peu plus de cette « petite pouffiasse, voleuse de petit ami », comme elle l'appelle.

Mais Tobias ne relève pas la rupture, laisse couler, et décide d'aller de l'avant... Ellie n'étant finalement qu'un frein à ses rêves qui le lasse et l'éreinte en ne cherchant qu'à lui enlever tout plaisir dans la vie ; sa musique, sa précieuse musique. Mais quel est donc son but, à elle, qu'il s'est souvent demandé. Quelle pourrait être donc sa prochaine étape ? Le menotter contre le radiateur du salon pour s'assurer qu'il ne pourrait avoir pour destin que celui d'être son gentil petit animal de compagnie, pour l'éternité ? Ou pire, elle le transformerait en monsieur tout le monde qui n'a que pour devise métro, boulot, dodo. Un gentil fonctionnaire frustré, coincé, qui collectionnerait les posters de Rocks pour se souvenir d'un passé autrefois heureux. C'est contre ça que Katrine l'a aussi mis en garde. Elle qui s'inquiète tant pour lui et son épanouissement personnel !

Alors non ! L'ex-batteur TroubleMaker ne se laissera pas faire ! Sa meilleure amie a totalement raison et Ellie ne doit pas avoir la possibilité de l'empêcher d'évoluer dans la musique ! Elle qui n'est que l'égoïsme personnifié, camouflé sous un masque de gentillesse et de dévotion, que Tobias finissait par juger, à la fin.

Le batteur faisait alors son choix : il préférait retourner faire la seule chose pour laquelle il excellait, encouragé et gonflé à bloc par les encouragements de sa fidèle alliée Katrine, plutôt que de rester auprès de quelqu'un qui ne saurait jamais l'aimer suffisamment pour le comprendre, selon lui... 

« Le dernier mot de la liberté, c'est l'égoïsme » [Gérard de Nerval]

Quand rupture rime avec brisure, comment l'âme damnée s'échappe-t-elle des ténèbres obscures de ses choix.

« Que fait l'être humain dès qu'il a tout perdu ? Il s'enfonce encore un peu plus. »