*

 

 

— Raphaël ? Coucou, ça va ? salue très poliment Tobias dans le combiné de son téléphone portable, peu après que sa nouvelle petite amie l'ait supplié sur un certain sujet ...

— Moyennement. Et toi ? répond très honnêtement le jeune Bauer, au chevet de sa belle au bois dormant ; son jeune frère étant endormi de l'autre côté du lit de la demoiselle hospitalisée, la tête posée sur son matelas.

— Je suppose que toi aussi es au courant pour Eva ? On a pas vraiment eu l'occasion de se parler depuis quelques jours, et donc d'en parler, mais je...

— Je suis au courant, en effet. Je suis à son chevet, là.

— Sérieux ?! Où est-ce qu'elle est ?! Dans quel hôpital ?!

— Euh.. C'est que j'ai pas vraiment le droit de diffuser cette information Tob'.. Je suis désolé.

— Hey, même à moi tu dirais rien ?! Comment t'es dégueulasse des fois, tsss !

— Humm... Mais en fait, ce n'est pas vraiment de toi dont j'ai peur, mais plutôt du téléphone arabe, disons...

— Traite-moi de langue bien pendue aussi tant que t'y es !

— Et bien si tu insistes.. Non, je déconne ! Ce n'est pas du tout pour ça, mais j'ai des consignes et on me fait confiance, alors...

— Ok, ciao.

Un bruit de tonalité suit aussitôt cette dernière réplique, prononcée de manière glaciale, et Raphaël n'y réagit que par un long soupir et un haussement d'épaules.

— Les téléphones sont interdits dans les hôpitaux, lui marmonne Jeffrey en ouvrant péniblement un oeil.

— Pour les patients qui sont endormis, oui, mais vu qu'Eva est un peu plus qu'endormie...

— Elle est pas non plus dans le coma, humpf!!! garde toujours cet éternel et infaillible optimisme Jeffrey.

— C'est sur, mais bon...

— Dors un peu, moi je vais la veiller ! T'as une gueule terrifiante et si elle te voyait comme ça elle en mourrait aussitôt de voir son Roméo défiguré par la détresse !

— Ha non je pourrais pas dormir, impossible, je suis pas comme toi qui t'endort en dix secondes pour ronfler quinze plus tard !!

— Gnéééé, comment tu mens!! se défend en rougissant Jeffrey, — je ronfle pas, moi !!

— Et tu pètes, en plus !

— N'IMPORTE QUOI!!

— Chuuuut !

— Humpf, mais en tout cas je pète pas, grmblblblblblbl!

— Ton caleçon doit pas confirmer !

— Salut, entre tout à coup dans la pièce Erwan, l'air épuisé et penaud, fuyant le regard de son ex-beau-fils.

— Coucou, répond poliment le jeune Bauer, tandis que Jeffrey se contente de mimer un profond sommeil, voire un bien faux ronflement...

— Tu vas bouder combien de temps toi? s'agace alors Erwan dans sa direction, — tu as lu ses lettres, non?! J'ai pris la décision que je pensais la meilleure. Désolé que tu ne penses pas comme moi!

— Ferme ta gueule ou je te t'éclates Erwan, hôpital, ou pas, chambre d'Eva, ou pas, se contente de grogner avec véhémence Jeffrey, la tête toujours posée sur le lit de sa soeur, — tu mériterais de crever pour avoir tenté de la tuer, espèce de conna..

— Stop, l'interrompt très vite son frère ainé en se relevant de sa chaise, l'air anxieux, — oublions tout ça, ok ? Il faut qu'on reste unis et qu'on soit forts.. Elle en a besoin.

— Comment s'est passé l'opération? questionne Erwan avec inquiétude pour changer de sujet, — on m'avait parlé de très peu de chances de survie, de nombreuses opérations, d'une possible tétraplégie et d'une amnésie totale presque certaine...

— On ne nous a pas cité tout cela, à nous, en déglutit d'angoisse Raphaël, — mais d'après l'un des chirurgiens qui l'a opéré, sa première intervention s'est bien déroulé...

— Et bien... Si je comprends bien, c'est maintenant qu'on doit commencer à prier, alors, réagit à cela Erwan, le regard tendrement posé sur sa belle-fille, devenue enfant légitime aux yeux de la loi.

— Tu ne pries rien du tout, toi, recommence Jeffrey sur un ton des plus désagréables et agressif, — toi tu dégages ! T'as pas le droit d'être ici !

— Arrête, toi, le gronde Raphaël avec agacement, — il a pris la meilleure décision à ses yeux, alors arrête de le blâmer!

— Eva est désormais ma fille, Jeff, se surprend à vouloir agacer encore plus Erwan, excédé par les constants reproches de son ex-beau-fils.

— Va te faire enculer, nous ne serons jamais tes enfants ! continue d'agresser Jeffrey avec virulence.

— Tu ne seras jamais mon fils, certes, mais Eva est aujourd'hui ma fille! Pour la simple et bonne raison qu'il ya peu, nous avons fait ce qu'il fallait pour. Si je te dis, "formalité d'adoption", est-ce que cela te parle? Ou est-ce que tu es trop idiot pour réaliser à quel point elle compte pour moi et à quel point JE compte pour elle ?

— Elle n'aurait jamais fait ça sans m'en parler, connard ! en a la gorge nouée Jeffrey en se reculant vivement de sa soeur endormie pour l'observer ensuite avec colère, — jamais ! Elle n'aurait jamais fait ça ! Tu mens !

— Demande à ta mère si tu ne me crois pas ! Et ferme-la un peu ! C'est de repos dont elle a besoin, et non d'un braillard dans ton genre !

— OK, j'me casse, grogne furieusement Jeffrey en se relevant d'un bond de sa chaise pour se précipiter vers la sortie.

— Elle pensait surement pas à mal ! tente de lui lancer Raphaël pour le calmer, alors qu'il claque déjà la porte de la chambre, fou de rage.

— Laisse-le se calmer tout seul, soupire alors Erwan avec lassitude, — c'est Jeffrey ça. Une boule de nerf! Mais il va revenir, ne t'en fait pas. Après avoir hurlé et pesté tout seul dans son coin, il reviendra avec les yeux humides et une tête de chien battu.

— Je le comprends en un sens, ça doit être très humiliant pour lui de..

— Tu ne sais rien alors tu ne la ramène pas, Raphaël. Jeffrey et moi on ne s'est jamais vraiment entendu, tu sais, on ne s'est toujours que supportés. Il a toujours été plus proche de sa mère que de moi. Et Eva, c'était l'inverse. Mais tout ça, il le sait. Et c'est pour cette raison que lorsqu'il s'en sera souvenu, il reviendra la queue entre les pattes !

— Pour changer de sujet, éclairez-moi d'un doute, ma mémoire défaille... Ce ne serait pas une perruque qu'elle porte, là?

— Oui, mais j'ai demandé que l'on ne la lui retire pas. Parce qu'elle tenait à la garder jusqu'à ce que son délire de la coupe à la garçonne n'ait totalement disparu...

— Ah... Pourtant, j'aimais bien sa version blonde, dans son dernier clip, moi.

— Nos gouts diffèrent alors, je trouvais ça hideux, personnellement.

— Pffft, le prend avec le sourire Raphaël, — Eva ne saura jamais être hideuse, m'enfin!

— Eh eh... L'amour fraternel doit rendre aveugle! cherche sur le coup à amuser Erwan, en réalisant très vite qu'en prononçant cela, il avait surtout pensé que c'était simplement l'amour tout court qui rendait bien souvent aveugle...

Et le fait de se souvenir de cela le gêne soudain terriblement ; c'est donc avec un petit air perplexe qu'il observera le jeune Bauer, fils illégitime de Kylian Gutter, pour lui marmonner un hésitant et inquièt, — euh.. Raphaël ? Hum...

— Du tout, ôtez-vous cela de l'esprit tout de suite, se rassoie tranquillement Raphaël dans son fauteuil en déglutissant avec honte et douleur, - j'ai énormément d'affection pour elle, mais ça s'arrête là. Je vous le promets.

 

 

*

 

 

— La mêmeuuuuh choseeeeeeee, garçonnn !! beugle Vanessa Beckers d'une voix tremblotante et affreusement aiguë à l'un des barmaids ; la pauvre femme a bien du mal a rejoindre pour la énième fois son tabouret, décidément ! Parce que tout les trois verres cul-sec, elle retourne bien évidemment se trémousser sur la piste de danse pour montrer à toute cette clientèle VIP à quel point elle a pu tomber bien bas récemment...

En effet, dans ce bar, ouvert 24h/24, on y trouve que la Jet-set. Un peu de tout, niveau clientèle. Cela va de petits chanteurs perçant à peine dans le monde de la musique, aux plus grands acteurs de ce siècle actuellement de passage dans la capitale allemande.

— Maaa fille, làààà, et baaah elle est morteuuuuuuuuuuh, lààààà!!! Parce que t'voiiiis, Jeff, il avaiiiiiiiiiiiis besoinnn d'un nouveau coeuuur, tu saiisiiiis ?! Il.. Il fallaiiiiit en sauuuveerrrrr unnnnnnn !!!!!! T'auuuuuuuraiiiiiiiiiis faiiiiiiis quoiiiiiiiiiiii aaaa maaa plaaaaaaaace, toiiiiiiiiiiiii ?!?

Qu'elle hurle dans les oreilles d'un pauvre homme qui n'aura fait que l'erreur de passer près d'elle aujourd'hui.

— Resteeeeeeeeeee làààààà !! qu'elle l'arrête ensuite vivement alors que le malheureux tentait de se libérer de son emprise, excédé et horripilé par son comportement : une chose est sûre, ce petit acteur de séries pour jeunes n'écoutera plus jamais en boucle son album "Memories".

 

*

 

 

— C'est bon, il est parti ?! Humpfff, grommelle Jeffrey en revenant tout doucement dans la chambre d'hôpital de sa soeur.

Raphaël est toujours sur place. Toujours assis sur la même chaise. Toujours au chevet de sa belle. De sa soeur, à lui aussi..

— Oui, ça fait une heure maintenant, qu'il répond à son jeune frère apparemment toujours bougon.

— Et ma mère, tu l'aurais pas vue passer par hasard ?! Ça m'étonne qu'elle ne soit pas à son chevet. Erwan avait dit qu'elle devait venir..

— Je ne l'ai pas vu, non. Je suis désolé...

— C'est pas à toi d'être désolé, mais plutôt à cette mère dégueulasse! J'ai essayé de l'appeler en plus, mais portable éteint! Portable éteint! Portable éteint! Pfff. Elle est minable, c'est tout!

— On n’apprécie pas toujours les comportements de nos parents, mais ils restent ceux qui nous ont donné la vie et nous ont élevés, avec tout l'amour du monde.. Moralise Raphaël dans un soupir, — quoiqu'on peut leur reprocher, l'on ne doit jamais oublier qu'ils nous aiment.

— Je sais que ma mère nous aime. Mais je l'ai aussi vu changer au fil des mois. Et aujourd'hui, elle est devenue une vraie garce! Par exemple, au lieu de se relever après l'échec de son mariage, elle a préféré se venger sur ses enfants! Y à même pas de termes pour la qualifier! Quel parent ferait ça?!

— Ma mère a aussi eu le coeur brisé par un homme, révèle Raphaël en se renfonçant sur son siège, — et pour tenir, elle s'est raccrochée à son unique enfant. C''est à dire, moi. Je pense que je peux dire, sans me vanter, que mon éducation l'a sauvé. Mais, et ta mère, qu'est-ce qui aurait pu la sauver après la fin de son mariage? Avez-vous été là, Eva, et toi ?

— Je.. Je.. En déglutit de surprise et honte Jeffrey, subitement terriblement gêné, — bah, euh.. Moi j'ai quitté la maison assez tôt, c'est vrai, mais euh... Bah, euh.. Elle avait Eva, hein!! Urm... Enfin, jusqu'a ce que.. Qu’elle aussi.. S’en aille, poursuit le jeune Beckers en baissant désormais les yeux.

— Alors, ne la blâme pas trop.

— Hey, mais t'es super chiant toi, à avoir réponse a tout, tout le temps! On dirait que t'es venu au monde avec un bouquin de philosophie dans la gueule!

— Eh eh.. Détrompe-toi sur mon compte. Je suis plus doué pour conseiller les autres que pour gérer mes propres choix...

 

 

*

 

  

Paula est, en ce début de soirée, affreusement gênée et actuellement dans le local de ses amis TroubleMaker ; de son petit ami TroubleMaker, de son ex-petit ami, Troublemaker...

Debout, plantée, là, telle une idiote, devant la porte de la salle de bain de la pièce, elle est affreusement gênée. Les bras croisés, le regard planté sur le sol, sur ce lino si glacé et si désagréable l'hiver, elle est monstrueusement gênée...

Son Wilfrid est au courant.
De son début d'aventure avec le jeune Tobias.

Sur le coup, elle aurait bien envie d'en hurler de désespoir, avant de prendre ses jambes à son cou pour s'en aller mourir de honte dans un caniveau pas très loin, si une éternelle petite voix des plus tétues et bornées n'insistait pas sans arrêt pour lui confirmer qu'elle n'a pas a hésité, à avoir peur, puisque : "de toute manière, ils avaient rompu! Et en plus, son Wil' l'avait planté à la piscine!".

Mais malgré tout, et malgré cette désagréable petite voix moralisatrice, la jeune adolescente, devenue aujourd'hui plus jeune femme que jeune fille, est affreusement malheureuse et désespérée face à ses choix récents en matière de décisions amoureuses. Elle l'aime tellement, mais elle n'arrive pas à le faire comprendre... Pourquoi aimer est-ce si compliqué..

— Tiens, salut, la garce ! pénètre soudain dans le local celui qui fait encore tant battre son coeur, la torturant ainsi jour et nuit, et ce, depuis le jour de leur rupture,

— Ça gaze ? Il ne te manque que Terry à ton palmarès ! Mais je suppose que cela ne te dérangera pas de tenter de piquer le mec de ton ex-meilleure amie ! On sait tous que t'es prête a tout ! qu'il débite en une seule traite et avec une cruauté des plus palpables ; le tout en se dirigeant le plus paisiblement du monde vers son lit pour s'y asseoir avec sérénité.

— Je t'ai attendu à la piscine !! craque brutalement Paula en se rapprochant d'un pas rapide de son interlocuteur, ignorant volontairement toutes les ignominies qu'il vient de lui sortir a l'instant,

- je t'ai attendu, Wil !! qu'elle reprend encore avec nervosité, - Mais tu n'es pas venu, alors qu'attends-tu de moi, à la fin ?! Qu'attends-tu de moi ?!?

Tremblante, elle se place juste devant lui, raide comme un I, les bras et les poings fermés ; ainsi qu'évidemment, des larmes plein les yeux...

— Qu'a- qu'attends-tu de moi.. Wil'..?

— Quedalle, se contente simplement de la glacer le concerné, d'une voix ferme et emplie de haine,

— Tu ne m'as jamais intéressée au fond, je vois pas ce qu'on peut s'apporter l'un et l'autre sur le long ter... qu'il continue, toujours avec autant de mépris dans le regard, avant de se faire interrompre brusquement par...

... par son interlocutrice qui se jette soudain sur lui pour lui voler un baiser désespéré.

Paula, en larmes et complètement désemparée, se laisse tomber de tout son long sur son ex-petit ami, tandis que lui dégringole sur le dos, sur son lit. Les mains le long du corps cependant ; une gestuelle claire et limpide qui en dit long sur ses pensées du moment.

Des pensées peut-être foullies, si l'on s'arrête sur l'intensité des baisers que le jeune homme se met très vite a échanger avec cette jeune fille qu'il aimerait pourtant détester profondément aujourd'hui.

— Dis-moi que tu m'aimes.. Parce que de mon côté tu sais bien que c'est toi, que ça a toujours été toi... finit par oser Paula dans un murmure désespéré, — alors, je t'en supplie, dis-le-moi.. Je deviens folle, Wil.. Dis-le-moi.. Je t'en prie... Dis-moi que tu m'aimes... Arrête de faire le connard au coeur de pierre, parce que je sais que ce n'est pas toi.. Je le sais.. 

— Tu me fais gerber. Tu n'es qu'une garce, renvoie simplement Wilfrid avec brutalité en poussant violemment son interlocutrice sur le sol, hors de son lit,

— Dégage maintenant! Tu viens de tromper Tobias... Fuckin' Bitch! qu'il termine cruellement pour conclure, avant de se rallonger sur le coté, face au mur.

C'est donc en larmes que la jeune fille brisée, anéantie, et plus humiliée que jamais, va détaler en courant pour rentrer chez elle et s'enfermer à double tour dans sa chambre pour y pleurer pendant de longues et interminables heures.

Comme c'est aussi en larmes, que finira par être Wilfrid, moins de cinq minutes plus tard. D'ailleurs, à ce sujet, encore heureux qu'il sâche pleurer en silence, recroquevillé sur lui-même et contre son mur, en mimant un profond sommeil... : Ainsi, aucun de ses amis musiciens ne le remarqueront ce soir, et ce, malgré leurs diverses allées et venues dans la pièce.