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— Je vous aime, mademoiselle Paula Chiante. Accepterez-vous de pardonner et devenir la fiancée du pauvre con que je suis ?!
"En devenant sincère, l'amour devient généreux" [Georges Sand]
*
Cela fait deux jours qu'elle n'a plus remis un pied dans ce local. Cela fait deux jours qu'elle a brusquement, et plutôt sans raison, plaqué son petit ami.
Cela fait deux jours que Tobias fulmine devant ses amis, pendant les répétitions.
Se faire ainsi jeter comme une vieille chaussette, ça met toujours en rogne !!
Et ce n'est pas son ami Terry qui trouvera la force de le réconforter : aujourd'hui, il est bien trop occupé à se carapater du local, pour...
Tiens, tiens, étrange, d'ailleurs! Le blondinet TM n'a pas prévenu ses compagnons de l'endroit où il allait! Ce satané blond leur a juste marmonné, après une brève conversation au téléphone, qu'ils ne devaient pas compter sur lui, aujourd'hui!
Quant à Vick? Il n'est pas vraiment le genre à s'attarder sur les peines de coeur de ses amis. Il serait plutôt celui qui vient tapoter sur l'épaule du malheureux en riant que la fin d'une histoire n'est pas la fin d'une vie, mais plutot son commencement!
En effet, le synthé de ce petit groupe montant est "anticouples".
"Enchainéééés, qu'ils sont touss!! Enchainéééés!" qu'il aime traiter les amoureux transis qui ne savent pas vivre sans l'autre.
Et en ce qui concerne Wilfrid ? Oula. Non. Certainement pas. Et Tobias n'y a pas pensé une seule seconde. À recevoir un quelconque soutien de la part de son comparse guitariste !
Et pour cause... Cela serait très ironique que celui à qui il a piqué la petite amie, vienne le consoler de sa rupture avec la concernée !
Alors aujourd'hui, c'est seul que Tobias est assis devant sa batterie. Maugréant sans arrêt et bougonnant sa mauvaise humeur. Il est complètement... seul.
Peinard, Vick regarde la télévision avec Wilfrid -tout en surveillant la page Myspace de son groupe afin de suivre l'évolution des commentaires sur leurs derniers titres-, prétextant que sans Terry -qui vient de décamper, rappelons-le- ils ne peuvent pas répéter.
Wilfrid lui, semble aussi regarder la télévision.
Mensonge !
Car le jeune homme a l'esprit ailleurs, aujourd'hui...
Toutes les cinq minutes, l'incarnation humaine de l'impulsivité et du mauvais caractère, en déglutit de douleur. En se posant mille questions.
Les principales : que fait-elle? Où est-elle? Avec qui est-elle?
Et LA principale : devrait-il se bouger les fesses pour tenter quelque chose avec elle?
Elle qui lui est revenue en larmes, elle qu'il a rejeté comme une moins que rien, elle qui a ensuite rompu avec Tobias... Wilfrid culpabilise affreusement pour leur dernière altercation. Il craint d'avoir peut-être mit un râteau injustifié à la seule qui savait faire battre son coeur de gros dur.
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— Salut... fais timidement Terry en pénétrant enfin dans la fameuse chambre d'hôpital qui renferme sa petite amie alitée. Devant lui, et autour du lit de la demoiselle, assis sur des fauteuils en cuir, et en train de regarder la télévision, Raphael et Jeffrey.
— Salut Terry, répond uniquement Raphaël avec beaucoup de politesse, avant de se relever de son siège pour se presser vers la sortie, prévenant en même temps les deux autres protagonistes de la scène,
— Je dois y aller, moi. Je, je... J’ai pas mal de trucs à faire aujourd'hui!!
— Ok, lui hoche simplement la tête Terry, tandis que Jeffrey reste silencieux et bougon.
Évidemment, le jeune Beckers a bien compris que le déserteur préfère céder lâchement la place de prince royal au petit ami légitime de sa soeur jumelle. Mais cela l'agace prodigieusement.
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Ça y'est ! Il est décidé ! Ça y'est ! Wilfrid Mulher se dirige d'un pas rapide et assuré vers cette maison ! Vers ce domicile ! Vers cette très jolie maisonnée qui est celle de cette jeune fille à laquelle il tient tant ! Sa Paula !
Oui, il prend enfin son courage à deux mains ! À deux pieds ! À coeur, même ! Il va tenter le tout pour le tout !
Il va l''attraper furieusement et la plaquer contre un mur ! Lui avouer ce qu'elle est pour lui !
Ce qu'il veut vivre avec elle !
Lui, cet idiot de première qui n'a encore jamais eu le courage d'avouer des quelconques sentiments à une personne du sexe opposé ! Lui, qui est si fier qu'avouer aimer signifiait toujours dans son esprit "abdiquer" ! Devenir "faible" !
Lui ! Lui, Wilfrid Mulher ! Aujourd'hui, IL EST PRET !
Et arrivé devant la fenêtre de la chambre de sa Paula, il l'aperçoit soudain, lui.
Lui. Avec elle.
Tobias Angermann.
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— M'en fout ! Grogne avec désintérêt Jeffrey à destination de son beau-père qui vient de le rejoindre dans la chambre de sa soeur pour lui annoncer une pourtant grande et belle nouvelle : un coeur l'attend aujourd'hui pour une éventuelle transplantation cardiaque ! Un coeur qui n'est pas celui de sa soeur, en plus !
— Jeffrey, arrête, putain ! Qu'est-ce que tu me fais, là ?! Cette chance ne se reproduira peut-être pas avant longtemps alors saisi la, merde ! insiste Erwan en se mordant les lèvres de dépit, - si tu ne le fais pas pour toi, fais-le au moins pour Eva... Elle voulait tellement que tu vives, que tu ne peux pas te laisser mourir alors que tu as une chance de...
— Je ne la laisserais pas toute seule, même le temps d'une opération ! interrompt Jeffrey pour informer avec indifférence -le tout en avalant une chips Pringles au Wasabi-, — et je me fous de ce que tu penses de ça !
— Arrête d'être aussi niais et redescend de ton nuage un jour ! Je pense que si cela peut te sauver la vie, elle comprendrait très bien que tu la laisses quelques heures le temps d'aller te faire opérer. Et puis elle n'est pas toute seule, je te signale.. Poursuit Erwan, imperturbable malgré l'indifférence que lui offre son ex-beau-fils, — regarde, son petit ami est là, qu'il ajoute, désignant Terry du regard, et moi aussi, je suis là...
— Rien à branler de vous ! Je veux être là lorsqu'elle ouvrira enfin les yeux, s'entête Jeffrey, — et avec ma chance, elle émergera quand je serais sur ta putain de table d'op'.
— Elle est encore trop faible pour émerger aujourd'hui, Jeff, donc tu peux te faire opérer. Fais moi confiance.. Pour une fois dans ta vie, je t'en pries... Fais-moi confiance.
*
L'ancien Wilfrid aurait sans aucun doute fait demi-tour en courant, rageant avec fureur, insultant avec véhémence... L'ancien Wilfrid, oui, sans aucun doute, l'ancien Wilfrid aurait fait cela!
Mais certainement pas le nouveau!
Pas le nouveau qui en a aujourd'hui tant bavé pour cette histoire que désormais il se rend compte qu'il ne veut plus si facilement abdiquer. Accepter. Croire aux apparences... Accuser sans savoir.
Alors il va rester tout simplement figé devant cette fenêtre. Perché sur cette palissade. Figé et immobile. Statique. Stoïque. Et tant pis si les deux protagonistes de la scène qui se déroule actuellement dans cette petite chambre se retournent brusquement sur lui, le surprenant ainsi dans cette petite séance d'espionnage des moins discrètes...
Il assumera. Et sortira les poings si nécessaire, pour rappeler à son comparse batteur qui il a toujours été : le TroubleMaker que l'on craint et respecte !.. Le fouteur de merde qui n'a peur de rien !!! Celui qui a toujours su ce qu'il voulait en sachant exactement comment l'obtenir, peut importe les moyens !!!
Car il veut l'entendre de ses lèvres.
Que désormais, elle l'aime, lui... Tobias Angermann.
Le batteur de son groupe qui grimace soudain en direction de celle qu'il tenait dans ses bras. ! Avant de tourner étrangement les talons vers la porte de sortie.
Tiens, tiens...?
Wilfrid est bien évidemment plutôt intrigué par cette réaction. Voire aussi très, très... Intéressé.
Il ne bouge cependant pas d'un poil. Attendant clairement de se faire remarquer par celle qu'il espionne sans gêne.
Quoi?! Ils parleront alors face à face! Il n'a pas peur. Il l'attend!
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Aujourd'hui est un jour important, et pour cause ! Il est celui de la dernière opération de la jeune September. Cela fait huit jours que la jeune fille est hospitalisée ici, dans ce grand et réputé hôpital de la capitale allemande.
Huit jours déjà... et cette nouvelle journée est peut-être sa dernière.
Dans la salle d'attente, devant le bloc opératoire, Jeffrey Beckers. Terry Dreher. Erwan Muller...
Jeffrey Beckers qui se porte bien aujourd'hui ! Malgré l'opération qu'il a subie la veille et qui lui a offert un nouveau coeur. Oh, bien sur, ce jeune homme têtu et borné devrait être alité pour se reposer un minimum, aujourd'hui, bien sur...
Mais souvenez-vous que l'on parle tout de même de Jeffrey Beckers. Une tête de mule comme on n'en fait plus ! En effet, le jeune homme voulait attendre la fin de l'opération de sa soeur dans ce couloir, sur cette chaise. Que cela plaise, ou non, à ses médecins, ou à son ex-beau père. Puisqu'il fait ce qui lui plait, quand il le désire, et de la façon DONT il le souhaite.
C'est tout ! C'est comme cela, et ce n'est pas autrement.
Mais de toute manière, ce jeune idiot semble bien remis. Il se porte bien, aujourd'hui.
D'ailleurs, cela le surprend assez, il n'y croit pas vraiment. Un coeur tout neuf battrait dans sa poitrine ? Déjà ? Si vite ? Et seulement grâce à cette transplantation qui s'est si vite et si bien déroulée la veille ?
Oui, il a vraiment du mal à y croire, tant cela lui parait "facile" ...
Facile ? Mais quel est donc ce mot ? Lui qui pensait que dans la vie, rien ne l'était ... Que dans la vie, il fallait se battre pour tout obtenir ! Voilà qu'en un claquement de doigts, presque, pif paf pouf, il obtient un nouveau coeur ! Une nouvelle vie ! Des médecins l'endorment, pour qu'il se réveille quelques heures plus tard, TOUS NEUF !
Trop facile. Oui, trop facile..
Il en tremble et se demande s'il le mérite, du coup.
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Enfin ! Enfin, elle a tourné son regard !
Enfin ! Et il espère qu'entre eux, il n'est pas trop tard...
Enfin ! Enfin elle est prête à lui rentrer dans le lard !
— Qu'est-ce que tu fais là ? qu'elle lui grogne avec rancoeur, le coeur battant à tout rompre, à lui, lui, lui l'éternel démon de ses nuits...
Wilfrid Mulher.
Brise-burnes ambulant de son coeur, pour la servir.
"C'est dans la fougue des passions que le feu de l'âme est assez fort pour opérer la fonte des matières qui font le génie" [Stendhal]
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— Ou est-ce que tu vas, toi ?! grogne furieusement Jeffrey en direction du sale blond qui vient de se lever de sa chaise.
— Euh... son opération va durer un moment, alors je reviendrais plus tard, lui répond simplement et avec honnêteté le jeune Dreher, avant de se mettre à avancer le long du couloir pour s'en aller.
— Putain ! ne peut s'empêcher de lâcher avec rancoeur Jeffrey, sidéré de constater que le petit ami de sa soeur jumelle préfère vaquer à ses occupations au lieu de se morfondre ici avec lui !
Un comportement qui diffère terriblement de celui de Raphaël Bauer.
Il n'en faut pas plus à Jeffrey pour choisir son camp !!
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— Je vous aime, mademoiselle Paula Chiante. Accepterez-vous de pardonner et devenir la fiancée du pauvre con que je suis ?!
"En devenant sincère, l'amour devient généreux" [Georges Sand]
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— On peut dire que cette petite a véritablement un ange gardien qui veille sur elle, sourit quelques heures plus tard l'un des chirurgiens qui ont opéré la jeune september aujourd'hui, — l'opération s'est très bien déroulée et avec peu de complications. Vous pouvez souffler, elle est désormais tirée d'affaire !
Jeffrey en pousse un long soupir de soulagement en se laissant tomber sur l'une des chaises du couloir -encore faible de son opération de la veille-, les yeux grands écarquillés et le visage pâle. Il ose à peine y croire et tremble encore de tous ses membres...
Le cauchemar serait-il en train de prendre fin ? Il n'y croit pas encore.
— Merci.. Merci du fond du coeur, balbutie timidement Erwan au chirurgien : lui aussi a bien du mal à réaliser le miracle, en fait..
— Nous allons la ramener dans sa chambre, reprend chaleureusement la femme en blouse, — et désormais, tout ne sera plus qu'une question d'heures. Elle pourrait se réveiller très vite!
— Je, je ne sais pas quoi dire.. Continue évasivement Erwan avec un immense sourire niais et les larmes aux yeux, — c'est qu'on osait plus y croire, en fait ! Et, et... et est-ce qu'elle ne gardera aucune séquelle de tout ça ..?
— J'allais y venir, monsieur, reprend le chirurgien en perdant son grand sourire, — parce qu'en effet...
— De.. De quoi ? réagit enfin Jeffrey en se figeant d'effroi, les yeux encore humides.
— Disons que pour qu'elle retrouve toute sa mobilité, il lui faudra suivre une longue rééducation, mais elle aura aussi besoin de chance. Mais je vous avais déjà parlé des risques...
— Mais elle la retrouvera, hein ? reprend Erwan avec terreur, les lèvres tremblantes et la gorge nouée, — je vous en supplie, dites-moi qu'elle remarchera !
— Je.. Je.. Je ne peux pas me permettre de faire une telle promesse, monsieur. Elle a déjà une chance inouïe d'être encore en vie, vous savez...
— Et au niveau de la mémoire ?! questionne Jeffrey à son tour en se relevant péniblement de sa chaise, — est-ce qu'elle, est-ce qu'elle...
— Il ne semble y avoir aucun souci de ce côté là, monsieur.