*

  

- Allo, Tob' ?

- Ouais ! Salut, Raph' ! Ça gaze ?

- Oui. Mais je t'appelais surtout pour te demander si tu aurais vu Eva aujourd'hui? J'arrive pas à la joindre...

- J'ai vu Terry aujourd'hui, oui, mais pas Eva ! Pourquoi ? Hummmm....

- Heeeey mais dis-moi, toi, comment cela se fait-il que tu me demandes ça ? s'intrigue soudain Tobias, - Tu es réconcilié avec la miss, ayéééé ?! Il se serait passé quelque chose que j'ignore ?

- Du tout, mais on est resté tout de même un petit peu ami, tu sais ! tente de répondre Raphaël à son meilleur ami en déglutissant de honte, - bon tu ne l'as pas vu alors.. Ok, c'est pas grave !! Je te laisse, j'ai des choses à faire ! A plus !!

- Ok ! A plus, l'homme mystère, taquine Tobias pour enfin terminer cette conversation ; sa petite amie qui est en actuellement en train de lui embrasser sensuellement le cou lui donne en ce moment envie de tout, sauf de perdre une minute de plus au téléphone...

 

 

*

 

 

Les minutes s'écoulent et Erwan se lamente encore sur sa chaise d'attente, tandis que le médecin qui lui avait parlé il ya un peu plus d'une heure revient le voir pour lui demander s'il aurait enfin pris sa décision ?

Que le temps presse et que lui et son équipe ne doivent désormais plus attendre pour soit tenter le surement vain sauvetage de la blessée, soit la plonger dans le coma, le temps que celui qui est censé recevoir la fameuse transplantation n'arrive.

Erwan se prépare donc à enfin donner sa décision, tout en se relevant de sa chaise... Quand tout à coup,

... Son ex-femme se rue soudain de l'autre bout du couloir jusqu'à lui et son interlocutrice.

Elle semble paniquée et lui lance un regard noir, avant de reprendre en direction de la femme en blouse que le secrétariat l'a mise au courant pour l'accident de sa fille !

Que ce pantin lui explique donc immédiatement ce qu'il se passe ici et dans les moindres détails !

Erwan l'interrompt alors pour lui marmonner que l'adolescente accidentée n'est plus sa fille à elle, mais la sienne à lui...

- Je t'ai causé, à toi ?! se défend aussitôt et sans attendre la chanteuse blonde, furieuse, - non, je ne crois pas, alors tu dégages et tu va te trouver une famille dans le caniveau du coin, sale mendiant! Thanks! Retourne dans les égoûts, avec les rats, les rats les plus puants de Berlin! Car là est ta place!

Interrompant ce début de dispute ; qui serait assez mal venu, dans un tel endroit ; le médecin en blouse se presse d'expliquer en bref la situation à cette femme plutôt célèbre et c'est moins de cinq minutes après son long monologue que sa nouvelle interlocutrice lui lance brutalement ce qui semble être sa décision la plus murie :

- Vous allez la faire, cette transplantation !

Erwan en grogne d'étonnement : il n'a fallu à son ex-femme qu'une demie-minute pour prendre une telle décision, tandis que lui a dû y penser pendant plus d'une heure pour tenter d'en faire autant ?!

Vanessa en hausse les épaules. Là est la différence entre lui et elle.

Elle est responsable et intelligente, tandis que lui, niais et débile.

Le médecin gêné de se retrouver entre ces deux-là se retourne alors vers Erwan pour lui redemander de lui assurer son choix à lui, puisque légalement parlant, il est aujourd'hui le seul tuteur légal de l'adolescente agonisante...

Au tour de la chanteuse blonde de grimacer avec rancoeur.

La boule au ventre et la gorge nouée, Erwan accepte alors, donne finalement son aval... Les yeux de nouveau humides, bien sûr. De honte, il les ferme. En déglutissant avec douleur.

Cette décision lui arrache évidemment le coeur, mais puisque les médecins sont formels sur les chances de survie de sa belle-fille et surtout, dans l'état où elle serait au cas où comme une miraculée elle s'en sortait... : surement tétraplégique et complètement amnésique ; à cause de ce grave traumatisme crânien qu'elle a subi.

Une vie sans passé et en fauteuil roulant l'attendrait, donc... Une vie de légume sans histoire ni souvenirs.. Le pire du pire qu'il puisse arriver a un être humain et le pianiste célèbre n'a pas l'idiotie nécessaire pour souhaiter faire risquer cela à celle qu'il considère comme son enfant.

La mort peut parfois être, une délivrance...

Ainsi, la décision est donc prise et Erwan fera le nécessaire pour faire venir sur Berlin, dans les heures à venir, le nécessiteux de la greffe ; évidemment sans lui révéler l'identité de son donneur, consignes de sa belle-fille dans un petit et vil post-scriptum de sa lettre. La colère. La rage, et le désespoir, sont évidemment les sentiments qui animent le coeur de cet homme piégé, meurtri, blessé, et anéanti par une dure réalité et une douloureuse décision..

- Je te laisses, au revoir, tourne fièrement les talons son ex-femme en s'éloignant vers l'ascenseur afin de s'en aller, décrochant en même temps son téléphone portable qui avait commencé a vibrer dans la poche droite de son pantalon,

- Oui, allo ?

- [...]

- Oui ?

- [...]

- Je t'avais reconnu, Ana. Que me veux-tu ?

- [...]

- Comme je te l'ai déjà dit, il n'y a qu'une seule condition à mon aide. Que toi et le bâtard qui croît lentement dans ton ventre disparaissiez de la vie de mon fils.

- [...]

- Très bien. Tu dégages dès ce soir, alors.

- [...]

- Tututu, ce n'est pas dur, tu rentres chez toi, trouve une excuse à la con pour rompre si tu le croises -dans le cas contraire, tu t'enfuis telle une voleuse, telle une prostituée que tu es!-, remplis un sac de voyage, et prends le premier train en partance pour une destination très éloignée de l'avenir de mon fils ! L'Alaska, cela te dit ?

- [...]

- Mon temps de communication est limité, très chère Ana, alors si tu tiens ne serais-ce qu'un peu à ton Jeffrey, et à ta vie, à toi aussi, parce que je peux être très, très, très méchante quand je veux, je te conseilles de faire ce que je t'ai demandé ! Et ainsi, dans quelques heures, et ça, je peux te le jurer, Jeffrey sera opéré !

- [...]

- Au revoir, Ana. Bonne continuation à toi et surtout, n'oublie jamais de ne jamais repointer le bout de ton nez devant mon fils, car je pourrais très mal le prendre et te le faire payer très cher.

Sur ce, la chanteuse blonde raccroche plutôt vivement au nez de son interlocutrice désespérée, un sourire malsain dessiné sur les lèvres. Là, tout de suite, immédiatement, elle éclaterait bien de rire en repensant à cette pauvre Ana qui va se sacrifier en pensant sauver son amour, alors que lui ne recevra un nouveau coeur que grâce à sa soeur...

Un jour de chance ? Sans doute, oui.

Vanessa est aux anges. En une soirée, elle éradique cette trainée de prostituée de la vie de son fils, tout en étant assurée -et sans rien faire de particulier- que lui sera déjà sauvé grâce a sa soeur.

À ce souvenir, son coeur se serre et elle s'en mord les lèvres. Pour la vie de son fils, elle va perdre sa fille... Sauver un enfant, en en sacrifiant un autre? Mais elle tente de ne pas y penser en faisant déjà son deuil : le médecin jugeait son enfant déjà condamné...! Lui et son équipe ne pouvaient de toute manière plus grand chose pour lui !

Ce n'est donc pas réellement le sacrifice d'un être vivant qui avait encore toute sa vie devant lui...

Cela la console. Un peu, du moins...

 

*

 

C'est une belle soirée qui débute pour Jeffrey Beckers en ce moment puisqu'il marche là, sur ce trottoir sali par l'usage, d'un pas léger et heureux : en effet, il vient de passer un entretien auprès d'une petite équipe locale de basket pour un poste de coach et il est plutôt confiant.

Le basket étant toute sa vie, il juge désormais -et surtout grâce à son ami Dozen- qu'il n'a pas à le sortir définitivement de sa vie à cause d'une ridicule petite maladie de coeur.

Il a donc en ce moment un sourire de quinze kilomètres dessiné sur le minois et est plus que pressé de retrouver sa jolie fiancée enceinte pour lui annoncer sa grande nouvelle.

Mais tout à coup, son téléphone retentit vivement dans sa poche.

Toujours de bonne humeur, il décroche alors : rien ne pourrait lui gâcher sa joie aujourd'hui, il en est certain.

Rien, à part peut-être son, son, son beau-père, qu'il réaliste très vite en reconnaissant la voix a l'autre bout d'un fil.

- Qu'est-ce que tu me veux ? qu'il réagit alors sans attendre, perdant brusquement son large sourire.

- On va parler en homme, Jeff. Alors, ne raccroche pas ce téléphone et écoute-moi bien...

- Eva t'a parlé de moi, n'est-ce pas?! qu'il en sent ses poils s'hérisser de rage, - putainnnn, ça m'énerve, ça!!!

Sans prendre de gants, parce qu'il n'en a plus la force ce soir, Erwan Muller révèlera rapidement et de but en blanc qu'il est au courant pour les soucis cardiaques de son beau-fils et que le nécessaire est déjà prêt pour l'aider à s'en sortir : il l'a fait mettre en première place pour une greffe de coeur et l'opération pourrait avoir lieu dès le lendemain. Furieux, Jeffrey s'apprête alors à raccrocher, la rage au ventre et une soudaine envie de meurtre envers sa soeur...! Pourquoi l'a-t-elle trahi en révélant tout à ce type ?! Il lui passera le plus gros savon de sa vie, ça, elle peut en être assurée!!!

Face à son mauvais comportement, Erwan perd très vite patience et lance à ce gamin irrespectueux et ingrat qu'il est temps qu'il se comporte en homme et pense aux siens, un peu. À ceux qui ne se remettraient pas de sa disparition. À sa soeur qui est prête à tout pour le sauver.

A tout pour le trahir, surtout! S'empresse de pester furieusement Jeffrey. Très vite de nouveau interrompu par son beau-père qui lui soupire d'une voix chargée de tristesse qu'il devrait se souvenir qu'il va bientôt être père et que pour cet enfant, au moins, il devrait se montrer intelligent et mature. Agacé par tout ce que son interlocuteur sait sur lui désormais, Jeffrey marmonne que cela devait être sa soeur qui aurait dû lui téléphoner. Il ne lui pardonne pas cela. Il n'a rien à voir avec son interlocuteur actuel, car tous les deux n'ont jamais été si proches que ça! Erwan lui soupire avec difficulté et mensonges que sa soeur est en ce moment très occupée, surtout à cause du dernier concert qu'ils ont donné et qui l'a révélée au grand public un peu plus qu'il n'aurait dû...

Jeffrey bougeonne. La vie de star de sa frangine l'agaçant franchement... Il hausse les épaules. Erwan lui propose de lui envoyer dès le lendemain un recommandé avec un billet de train pour qu'il rejoigne Berlin et l'hôpital RipLand au plus vite, établissement où il l'attendra devant l'accueil. Jeffrey grogne à nouveau. Il n'a pas besoin de charité! Il a encore de quoi se prendre un billet de train! Son égo se fait décidément fusiller, ce soir...

Erwan sourit donc, avec toujours cette gorge nouée et ce coeur en miettes, qu'il l'attendra alors avant midi. Que son beau-fils prenne le premier train de la matinée pour se presser vers l'hôpital cité précédemment. Sa soeur sera surement déjà sur place. Qu'il ne s'inquiète pas pour cela.

Que des mensonges bien douloureux à prononcer décidément... Mais Erwan ne craquera qu'une fois son téléphone portable raccroché. Là, il chutera sur le sol de son appartement pour pleurer, une nouvelle fois, toutes les larmes de son corps. Demain, une poignée de médecins, avec sa propre autorisation, sacrifieront celle qu'il a toujours considérée comme son propre enfant... Et tout cela pour quoi ? Pour sauver la vie d'un jeune homme ingrat et plus irrespectueux qu'autre chose.

D'un jeune homme qui finira d'ailleurs très vite par découvrir la disparition de sa soeur...

Et à ce moment-là, il faudra sans aucun doute l'épauler comme il se doit, car ses sentiments et pensées risqueront d'être devenues des plus noires et haineuses...

 

 

*

 

 

Jeffrey pénètre enfin dans son appartement. Sa petite amie n'est pas encore rentrée, mais il n'y a là rien d'étonnant : aujourd'hui, elle travaille tard.

Cependant... Et ça, le jeune Beckers l'a remarqué dès le premier coup d'oeil : son domicile semble étrangement mieux rangé et -peut-être- plus vide que d'habitude.

Sa douce fiancée se serait-elle transformée en tornade blanche en faisant disparaitre du sol ses quelques chemises féminines qui y trainent souvent ?

Il voudrait en sourire d'amusement, mais une étrange lettre posée sur le meuble de la cuisine attire très vite son attention...

"Jeffrey...
Je suis désolée de te faire cela, tu m'as énormément apporté et je te respecte énormément, mais nous deux, ce n'est plus possible.
Alors je m'en vais, et m'excuse du fond du coeur.
Merci pour tout.
Prends soin de toi et sois heureux, tu le mérites.
Ana."