- Que.. Que..

- Tu es pâle. Viens, on va s'asseoir.

- Que.. Que..

- Tu es bouché, ou quoi? Je t'ai dit de venir t'asseoir!

- Je... Je.. J'étais complètement paumé... Désespéré.. Alors lorsque les ambulanciers m'ont proposé de monter avec vous... Je.. J'ai.. J'ai refusé. Je.. J'ai... J'ai prétexté devoir rentrer en urgence... Mais je.. Je...

- Assieds-toi!

- Mais.. Mais si c'est bel et bien toi, tu peux me dire pou.. pourquoi est-ce que tu es resté si longtemps sans...

- Assieds-toi! Pour la dernière fois, Hanz, ASSIEDS-TOI! Et essuie-toi les yeux. Non mais regarde toi, tu es pathétique à te mettre à chialer comme ça!

- Mais je...

- Assis!

- Pourquoi est-ce tu me parles de cette ambulance, je.. je ne comprends pas...

- Parce que ce soir là, je ne suis pas le seul à être arrivé aux urgences de l'hôpital Setglitz, à quatre heures et demie du matin, dans un état critique.

- Comment ça? Tu veux dire que quelqu'un d'autre...?

- Il s'appelait Nikolas Keller.

- Oh mon dieu, Kurt.. Ne me dis pas que...

- Il était brun, et me ressemblait énormément. Avait quasiment mon âge - un an de moins, pour être précis - une carrure à peu près similaire a la mienne...

- Mais tu avais des papiers d'identité, Kurt! Alors n'essaie pas de me faire croire que...

- Malgré de nombreuses plaintes, l'hôpital n'a jamais su expliquer cet étrange transfert d'identité. Ce qui n'est pas vraiment surprenant, vu le nombre d'années qui se sont écoulées entre cette soirée-là, et le retour total de ma mémoire.

- Comment ça?!

- Je suis resté six ans dans le coma, Hanz. Et lorsque j'en suis enfin sorti, j'étais complètement amnésique, et dans la peau d'un autre.

- Nikolas Keller, donc.. ?

- Voilà.

- Mais ses proches, à ce type, ses amis, sa femme, peut-être, ils n'ont rien remarqué lorsque tu as ouvert les yeux?! Car je suppose que vous aviez quand même des yeux différents, non?!

- Ils ont tout de suite constaté la supercherie, oui, bien sûr. Mais Lena venait de passer six ans à mon chevet, à m'aimer et me chérir, même si je n'étais qu'un légume sans vie. Alors...

- Alors ces gens t'ont fait croire que tu étais leur Nikolas?! Pendant que Tiphanie pleurait toutes les larmes de son corps et pendant que moi je me détruisais pour me punir de t'avoir laissé mourir?! Non mais je rêve!! Dis-moi que je rêve!! Ils nous ont fait vivre un deuil injustifié!

 

- Ce sont des gens charmants qui ont préféré se trouver un Nikolas de substitution, au lieu d'affronter sa disparition définitive.

- Mais tu n'étais pas Nikolas!

- Exact, mais plutôt un John Doh amnésique. En plus, je n'avais apparemment même plus mon anneau de mariage, celui gravé avec mes initiales! Mais c'est sûrement l'enculé qui nous a agressés ce soir-là qui me l'a volé.

- Je comprend maintenant pourquoi est-ce que tu m'as dit que j'aurai dû être là.. Oh putain, Kurt.. Oh putain!! Si.. Si tu savais comme je m'en veux!! Mais dis-moi, pendant combien de temps est-ce que tu es resté amnésique?!

- Jusqu'a il y'a deux ans. Jusqu'à ce que je croise - totalement par hasard - Tiphanie et sa petite famille, au Burger Weïzz. Tu dois connaitre, je suppose...

- Oh mon dieu!! Et tu lui as parlé?!

- Bien sûr que non! Mais c'est cette rencontre qui m'a provoqué mes premiers flashs de souvenirs.

- Et aujourd'hui.. Est-ce que tu te souviens de tout?

- De tout. Oui.

- Ah.. Alors je n'ai rien à t'apprendre, je suppose...

- Non. Puisque cela fait déjà quelques mois que je me renseigne sur vos vies à tous.

- Bien...

- Kylian est mort, Hanz!

- C'est pas nouveau et ce n'est pas un secret.

- Oui mais moi, je l'aimais, ce gosse!

- Que vas-tu faire maintenant? Redevenir Kurt, ou rester Nikolas?

- Il n'y a plus de Kurt, Hanz.

- Si, il existe encore un Kurt. Dans les mémoires. Dans le coeur de maman, dans le mien... mais bon, c'est sûr que ces personnes-là sont bien insignifiantes à côté de Tiphanie et Kylian!

- Pour quelqu'un qui est responsable de ma mort, je trouve que tu te permets beaucoup de sous-entendus déplacés, Hanz. Surtout que je suis très loin de t'avoir pardonné!

- Pourquoi es-tu assis sur mon canapé, si tu ne m'as pas pardonné, alors?

- Pour te faire encore plus culpabiliser, tocard!

- Maman aussi, culpabilise, Kurt!

- Je.. Mais non. Je n'irai pas la voir, Hanz. Tu es le seul, avec qui je désirais m'entretenir.

- Mais pourquoi?! Bordel, mais quel égoïste, j'y crois pas! Tu me hais encore à ce point, alors?! Tu me hais désormais au point de me montrer que tu es vivant, mais en me rappelant sans arrêt que cela ne devra jamais exister aux yeux de tous?! Que j'ai bel et bien un frère, oui, mais uniquement dans l'ombre?! Non mais attends, tues moi tout de suite, hein, ça vaudra mieux!! Parce que moi je vais finir à l'asile avec tout ça!! Tu le sais, ça, au moins??

- Je ne peux pas revenir dans leurs vies, à tous. Je ne peux pas, Hanz. Pas après toutes ces années, où ils ont tous fini par tourner la page.

- Et bien dans ce cas, il ne fallait pas revenir dans la mienne non plus!!

- Très bien... Adieu, alors.

- Adieu!!!!

- Non! C'est fini! Vous.. Vous arrêtez tout!

- Hein? Mais comment ça?

- Faut-il vraiment que je vous fasse un dessin? J'ai dit, c'est fini! Vous oubliez l'adresse de Foster.

- Je ne fais pas de remboursement, je vous préviens.

- Je m'en fous! Gardez l'argent.

- Ok. Et bien, dans ce cas, je n'ai plus qu'à vous souhaiter une excellente soirée. Et si jamais, par le plus grand des hasards, vous avez de nouveau besoin de mes services, vous avez mon numéro.

Sitôt la conversation terminée, Hanz Cobain raccroche avec hâte son téléphone fixe.

Parce que cette nouvelle vision de son frère, ce soir là, devant ce fast-food, lui a finalement fait prendre conscience de beaucoup de choses.

Et tout à coup, pendant qu'il - lui, l'unique propriétaire de ce petit appartement caché en pleine zone industrielle - se morfond encore - immobile en plein milieu de son salon -, quelqu'un se met à toquer à la fenêtre.

Quelqu'un, qu'il ne tarde pas à reconnaitre, dès qu'il tourne vivement la tête dans sa direction.

Lui..

Son.. Son frère.

Son défunt...

Frère jumeau.

Sans hésiter, il se hâte alors vers la porte d'entrée pour lui ouvrir d'une main fébrile.

Peut-être est-ce, cette fois encore, une hallucination.

Peut-être est-ce, tout simplement, un malfrat mal intentionné, ressemblant comme deux gouttes d'eau à son frère.

Peut-être.. Peut-être..

Il y'a tant de peut-être qui planent encore autour de cette étrange silhouette.

Tant de peut-être, qu'il est vraiment temps d'expliquer.

Oui. Qu'il est vraiment temps... qu'il reçoive des explications.

- Je suis bien chauffé, mais peux-tu refermer derrière toi? qu'il fait avec simplicité à l'image de son frère défunt, tandis que celui-ci est déjà en train de pénétrer a l'intérieur, en lui répondant avec calme,

- Bien sûr.

La porte refermée, les deux hommes face à face, l'on pourrait soudain croire qu'une bagarre des plus sanglantes est sur le point de débuter.

Entre deux frères jumeaux : l'un luttant pour sa vie, et l'autre agressant pour vengeance.

Mais en fait, non.

Parce que contre toute attente, c'est bien tout l'inverse qui va lentement se produire : une simple conversation. Calme et sereine.

- Il va falloir m'expliquer.. Maintenant. Je dois savoir! Qui es-tu... à la fin?

En effet, Hanz a aujourd'hui bien besoin d'explications sur le miracle de la résurrection miraculeuse de son frère jumeau. Parce que s'il n'en reçoit pas rapidement, il sent bien qu'il pourrait en sombrer dans la folie : parce qu'il se mettrait à hurler partout - comme un aliéné - qu'il communique avec les morts.

- Kurt. C'est moi, Hanz.

- Désolé, mais il va falloir plus qu'un "c'est moi, Hanz", pour me prouver que tu es mon frère!!

- Nous sommes jumeaux. Alors, au fond de toi, ne ressens-tu pas déjà que tu t'adresses à moi?

- J'ai souvent des hallucinations, dues aux médocs. Alors cela ne veut rien dire.

- Pourtant, c'est bien moi. Et je me souviens de tout, tu sais. De la manière dont tu as retiré ce couteau. Alors que je t'avais demandé de le laisser bien en place. D'appeler une ambul...

- Ça suffit! Je sais ce qu'il s'est passé ce soir-là! Je le sais! Mais merde, saloperie d'hallucination, tu vas arrêter de me torturer, de me faire culpabiliser, oui?! Je gâche déjà assez ma vie comme ça, exprès pour me punir, alors je pense avoir désormais droit à la rédemption! Merde, à la fin! Je.. Je...

- Si seulement tu étais resté près de moi, ce soir-là, Hanz! Pourquoi? Pourquoi n'étais-tu pas à l'hôpital, lorsque l'ambulance m'a emmené? Où étais-tu, toi, à ce moment là? Dis-le-moi!!

- Je.. Je.. Je ne vois pas pourquoi est-ce que tu me demandes cela!!

- Parce que ce soir là, Hanz, JE NE SUIS PAS MORT!

- Hey, Terry, où est-ce que tu vas? questionne hâtivement Wilfrid dès qu'il constate le concerné en train de s'éloigner vers la piste : il craint évidemment que le blondinet aille régler ses comptes avec une jeune fille qui l'a largué par téléphone, il y'a à peine quelques jours de cela.

- Les slows commencent.. lui répond simplement celui-ci, en accélérant le pas.

Les slows commencent... et surtout, un slow, en particulier, est en train de débuter.

Roméo and Juliet. De Dire Straits.

Ce morceau-là.. pendant lequel deux adolescents ont fait connaissance, il y'a quelques semaines de cela.

Ce morceau-là.. qui fait discrètement déglutir Raphaël, lorsqu'il l'a reconnu.

Déglutir, puis serrer un peu plus fort dans ses bras, sa petite amie.

Comme pour se prouver qu'il enserre là, la seule, la vraie, et l'unique...

- Raph', tu m'invites ? qu'elle lui fait justement, le plus amoureusement possible.

- Euh.. Bof. J'ai pas vraiment envie de danser, là, qu'il lui répond, avec franchise et honte, - si on allait plutôt chercher les boissons?

- Hum, d'accord! Mais le suivant, il est pour nous!

- Pas de soucis.

Pas de soucis.. Tant qu'elle ne le force pas à danser sur Roméo and Juliet.

~ You and me, babe...~ What about it? ~

 

 

*

 

Pendant ce temps là, et à quelques kilomètres seulement de la soirée endiablée que sont en train de vivre une poignée d'adolescents, un coup de téléphone plutôt mystèrieux est passé.

- Oui, allô. C'était pour vous dire qu'il est seul chez lui, ce soir. Voulez-vous que l'on passe à l'action?

 

*

 

 

Un bon nombre d'heures plus tard, les jumeaux Beckers et Paula sont comme prévu, en pleine soirée déjantée, au Blue's.

Quand tout à coup, une autre petite bande fait soudain son entrée dans la boite de nuit. Il s'agit évidemment là de Wilfrid, Terry, Tobias, Raphaël, et Jane.

Un petit groupe qui arrive tout droit d'un bar, où ils ont commencé la soirée. Sans se douter qu'ici, dans cette discothèque-là, ils retrouveront des visages connus.

- Il y a une table, là, se presse d'indiquer Wilfrid a ses compagnons, pour que ceux-ci ramènent aussitôt leurs regards vers l'endroit qu'il désigne.

- Elle est prise, il y'a des bouteilles dessus, remarque rapidement Jane avec sagesse, - mais on a qu'à se mettre au bar. Qu'est-ce que vous en dites?

- Si tu veux, lui acquiesce son petit ami, les yeux désormais rivés - tout comme ceux de Terry, d'ailleurs - sur la piste de danse où se démène une jeune fille qu'il reconnait bien.

- Putain,pas eux, se met à grogner Eva à ses amis, dès qu'elle remarque les nouveaux venus dans la boîte de nuit, - ah putain, ça me saoule qu'ils soient là! J'ai vraiment pas de bol, putain!!

- Ignore-les! Tu es venue ici pour te traiter contre cette tâche, alors ignore le!! Il n'existe plus, lui conseille sans attendre Paula, entre deux éclats de rire provoqués par la danse ridicule de son Jeffrey.

- Je t'ai dit qu'elle est surement prise, celle-là, Wil!! taquine Jane en riant, après que le concerné se soit assis tranquillement autour de la table qu'il a repérée en premier.

- Les absents ont toujours tort! ajoute jovialement Raphaël en resserrant son étreinte autour de sa petite amie.

- Voilà, qui va a la chasse, perd sa place, complète Wilfrid en s'enfonçant dans le fauteuil deux places qu'il partage maintenant sans gêne avec Tobias.

- C'est Paula, là-bas, non ? questionne justement le batteur du groupe, en reconnaissant la concernée qui est en train de danser collé-serré, avec un jeune homme qu'il ne reconnaît pas par contre.

- Ouaip, c'est son mec, l'informe en réponse Wilfrid, - c'est le frère d'Eva.

- Ah! Il est dans votre classe au lycée, alors? poursuit Tobias, les yeux toujours posés sur les formes délicieuses d'une jeune fille avec qui il a failli sortir.

- Nop, il est pas dans notre classe, répond Raphaël à la place de son ami Wilfrid, avant de questionner l'ensemble de sa petite bande, - je vais chercher les boissons, alors qui prends quoi?

- Un Kir royal! lui sourit affectueusement sa petite amie.

- Mais on va prendre une bouteille, non? s'empresse de proposer Wilfrid.

- Mouais, ça vaut mieux, acquiesce Tobias.

- Woé, pourquoi pas, ajoute Terry.

- Ok, mais ma chérie aura quand même sa boisson de filles! conclue amoureusement Raphaël en embrassant le cou de sa belle.