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    Audiomachine ~The Last Stand ♪

     

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    Jeffrey n'a pas trainé pour rentrer chez lui, malgré les grognements divers de sa soeur jumelle qui tenait pourtant à le garder avec elle pour qu'il se remette complètement avant de repartir. Mais Jeffrey insistait. La rassurait. « Il allait bien! » Il devait rentrer retrouver sa fiancée au plus vite pour lui montrer que leur fils est en pleine forme. Cela lui tenait à coeur, de rassurer sa promise. La femme de sa vie.. qu'il aime tant et qu'il a déjà tellement déçu. Il aimerait tant désormais se racheter auprès d'elle et regagner sa confiance. Voire peut-être, son amour...

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    Un désir peut-être très utopiste, lorsque l'on voit le visage impassible que la concernée affiche lorsque jeune Beckers revient enfin chez lui, son fils dans les bras. La blondinette, stoïque, se précipite récupérer son enfant. Puis le câline affectueusement. L'embrasse. Avant de fusiller du regard son concubin pour lui faire de façon glaciale.

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    — Je quitte la maison aujourd'hui, avec Pierre et Noah.

    — Je.. Je.. Pardon? En tombe des nues Jeffrey, s'appuyant contre le mur derrière lui afin de se maintenir debout : il souffre encore atrocement et est au bord de l'évanouissement, mais il ne laissera rien paraître devant sa moitié.

    — Tu n'es pas censé être surpris, notre histoire était déjà terminée depuis bien longtemps, Jeff. 

    — Mais.. Mais..

    — Bien avant même que tu ne me trompes, je dirais. En fait, je pense que dès que l'on est revenus de Paris, notre histoire était déjà fichue...

    — Mais je ne t'ai jamais trompée ! Panique soudain Jeffrey : comment a-t-elle su ?! Quelqu'un aurait-il osé parler ?! Cette pouffiasse de Paula, peut-être ? Le sang du jeune Beckers ne fait qu'un tour.

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    — Tu me prends vraiment pour une conne pour ne pas savoir remarquer quand je suis cocue ? Ironise avec dégoût Ana, soupirant ensuite avec aigreur, — depuis le premier jour où tu as commencé, je l'ai compris, Jeff. Tu n'as même pas été discret... tu aurais pu faire le minimum pour camoufler au moins l'odeur de son parfum sur ta peau. Est-ce que tu réalises à quel point ça peut faire mal de s'endormir auprès de son fiancé qui pue l'odeur d'une autre femme ?

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    — Je, je... en est brusquement réduit au silence Jeffrey, choqué, humilié. Il se sent désormais tellement misérable et pathétique qu'il se tirerait bien une balle en pleine tête, là, tout de suite.

    — Ce n'est pas grave, Jeff. Je ne t'en veux pas, reprend Ana en forçant un sourire stressé, — et j'ai rencontré quelqu'un moi aussi, tu sais. Je vais donc m'en aller le rejoindre, là, maintenant, avec les enfants. Ça sera mieux pour tout le monde.

    — Je t'en pries, Ana, ne me fait pas ça...

    — C'est même le mieux pour toi aussi, Jeff. Tu n'étais pas prêt, au fond. Regarde toi... tu es un gentil garçon, c'est vrai, tu es même quelqu'un de très bien, et tu n'as plus à me le prouver, mais...

    — Noah est aussi mon fils. Tu n'as pas le droit de me l'enlever. Je ne te laisserais pas faire! tente de se ressaisir Jeffrey en serrant les dents.

    — Tu aurais l'égoïsme de vouloir te disputer sa garde ? De ne pas réaliser que tu n'es pas capable d'élever un enfant ? D'oublier que s'il a été enlevé par je ne sais qui, ce n'est que de TA faute ?

    — C'est mon fils, MERDE !

    — Alors dans ce cas sois sérieux, et ne nous retiens pas. Laisse-moi m'en aller avec les petits, et toi... Eh bien prends soin de toi.

    — Ana, je.. je.. non, Ana...

    — Mon taxi m'attend, Jeff, je l'entends klaxonner. Et j'ai dois encore passer prendre Pierre chez Florian. Tu te souviens de lui? C'est le meilleur ami de Pierre. Oh non, bien sur, tu l'ignorais, pour le savoir il aurait fallu que tu vives réellement à nos côtés, au lieu d'être un fantôme dans cette maison...

    — Ana..

    — C'est pour ça que je pars, Jeff... On ne peut plus vivre avec toi, c'est impossible. Mais prends soin de toi, je t'en prie. Je ne veux pas devoir dire à Noah plus tard que son père est mort au cours d'une fusillade intergangs à même pas vingt-cinq ans. Il n'y aurait rien de plus pathétique... Il aura besoin de grandir en te voyant de temps en temps. Alors ne le prive pas de ça, ne le prive de son père. Je t'en prie.

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    — Et si, et si.. Et si je laissais tout tomber?!! Le gang, et tout?! Ana!!! Je peux, tout laisser tomber, je te le promets!!

    — C'est trop tard, jeff. Je ne t'aime plus. Au revoir...

    ...

    ...

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    Ça y'est. La catastrophe que le jeune Beckers redoutait le plus au monde vient de se produire. Il l'attendait, en un sens. Elle lui pendait au nez. Mais il s'imaginait sans doute pouvoir être chanceux, cette fois-là. Que peut-être, pourquoi pas, après tout, il aurait pu lui échapper.

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    Mais non. Il n'aura pas eu cette veine-là. Il aura donc finalement réussi. A les perdre, eux... Eux. Son monde à lui.
    Perdus. Terminé. Mais que va-t-il bien pouvoir devenir, désormais? Qu'il se retrouve à songer. Qu'est-il sans eux, après tout? Rien... Plus, rien.

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    Le début de la fin. Les perdre, eux, ce n'est que le début de la fin...
    Sa... fin. 



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    À quelques kilomètres de là, l'ambiance n'est pas au désenchantement et à l'angoisse, bien au contraire, puisqu'un nourrisson vient d'être mis au monde il y a peu et qu'il découvre désormais, et l'un après l'autre, les doux bras de ses géniteurs.

    Erwan Muller et Laur Dawan sont enfin parents.

    Erwan Muller, le pianiste Memories Est aujourd'hui un père. Un vrai. Un homme qui vient enfin d'accomplir son plus grand rêve : tenir contre lui un enfant, à lui. Bien à lui. Rien qu'à lui! Un enfant, qu'il a conçu.

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    C'est en tremblant avec ce petit bout d'humain entre les mains que le musicien réalise lentement cet événement magique qui vient de se produire. Il est père aujourd'hui. C'est un fait, et une réalité qu'il fuyait un peu jusqu'à maintenant, préférant se raccrocher à un passé, à une blonde, à de nombreux souvenirs, à peut-être une chance de revenir en arrière, ; un jour, qui sait... Avancer vers l'inconnu étant souvent une étape infranchissable et douloureuse pour certains.

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    Cet homme a été lâche, en effet. Tout au long de ces dernières semaines, il a été ce que l'on pourrait qualifier de bel abruti, et il en a pleinement conscience. Que cette jeune femme, là, sa fiancée, même, a clairement porté sa grossesse toute seule et en se vidant régulièrement de toutes les larmes de son corps.

    Elle était seule, oui. Pour se préparer à cet heureux événement. Au plus beau jour de sa vie.

    Elle était seule.. Pour vivre les plus pénibles moments de sa grossesse, supporter les doutes et terreurs qu'ils engendraient. Elle était seule, complètement seule, affrontant en solitaire un probable et incertain avenir. Car c'est à peine si son fiancé la voyait! C'est à peine s'il la réalisait exister. Elle n'était clairement qu'une présence. Une ombre qui allait et venait dans son appartement. Elle n'était rien d'autre qu'un bibelot. Une conversation à table. Un transistor vivant qui fait de l'animation.

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    — Elle est magnifique... sourit Erwan en direction de sa compagne. Serrant un peu plus fort Et tendrement son enfant dans ses bras. — Ashelia, alors? Qu'il propose ensuite, affectueux.

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    — Je, je.. Ne semble pas en revenir Laur, des larmes fourbes et soudaines au creux des yeux. Lui accorderait-il de l'intérêt? Elle n'en revient pas. Il vient de lui offrir un sourire...empli de douceur, sympathie, et compassion.
    Cela faisait si longtemps. Qu'il n'avait plus pris la peine de plonger ainsi son regard dans le sien, s'intéressant à son existence. Elle en laisse rouler une larme le long de sa joue, les lèvres tremblotantes. Souriant elle aussi, timide, émue, perdue, hésitante,

    — Oui, on garde celui-là, d'accord.

    En effet, ce prénom avait été décidé par la jeune chirurgienne. Un soir, à table, alors qu'elle tentait de discuter avec son concubin, faire la conversation, lui offrir une vie normale, sereine et paisible, comme à son habitude.. Elle lui avait donc proposé ce prénom entre l'entrée et le plat principal. Mais il semblait ailleurs. Elle s'en souvient encore. Il avait haussé les épaules. Sourit légèrement, prononcé un banal et nonchalant « si tu veux », en commençant à taillader son steak. Elle en avait ensuite pleuré de détresse sous sa douche. Il ne l'avait même pas écouté.. Il lui avait sorti une réponse bateau pour la forcer à écourter son discours. Il se débarrassait d'elle, une fois de plus. Elle parlait trop, l'agaçait, sa présence l'insupportait, alors il lui disait de la fermer, à sa manière.

    Mais aujourd'hui, il vient de lui prouver que ce soir-là, il l'écoutait donc. D'une oreille, surement, mais il l'écoutait tout de même, un peu...

    Elle en pleurait désormais à chaudes larmes, portant ses deux mains à son visage avec honte.

    — J'ai dit quelque chose de mal? S'inquiétait alors et immédiatement Erwan en conséquence, se rapprochant légèrement de sa compagne, son bébé toujours au bras, — c'est le fait qu'elle soit si mignonne qui t'émeut tant ? Dans ce cas, tu n'as pas fini de pleurer, parce qu'elle est sublime notre petite puce!! Tu veux la prendre un peu ?

    — Elle a ton nez, sourit Laur en se frottant maladroitement les yeux pour se les essuyer, — elle a tout hérité de toi ! Qu'elle poursuit, l'air désormais plus enjoué.

    — N'est-ce pas, hein! Ris à son tour Erwan, commençant à danser dans la pièce en portant sa fille du bout des bras, — tu es la plus belle, Ashelia ! Mais tu auras du boulot avant de surpasser la beauté de ta mère !

    Un compliment ?
    Laur fond une nouvelle fois en larmes, riant avec son fiancé entre deux sanglots. Erwan éclate lui aussi de rire, amusé par la sensibilité de sa compagne ; mais il a compris.. Et culpabilise désormais plus que jamais.

    Il se promet aujourd'hui de tenter de devenir quelqu'un de bien.. De la rendre heureuse. Après tout, n'a-t-il pas tout ce dont il a besoin pour être comblé et heureux?

     

     

    *

     

    Siciliano - Bach ♪

     



    Pendant qu'Erwan semble vivre une renaissance personnelle, Eva, elle, est en train de courir vers la maison de son frère, plus inquiète que jamais. Dans sa hâte, elle en a même oublié de prendre un manteau en sortant si précipitamment de chez elle. La raison de cette inquiétude : le fait que son frère ne réponde plus à son téléphone, en l'ayant même éteint après la quatre, non, cinquième tentative d'appel de sa jumelle! La jeune Beckers est en colère face à ce comportement de fuyard.

    Il lui cache quelque chose, elle en est certaine et cela l'énerve au plus au point. Sans doute est-ce sa santé. Peut-être a-t-il fait un malaise. Voir pire encore, peut-être a-t-il perdu connaissance quelque part, suite à ses blessures. La jeune fille n'a pas oublié dans quel état était son frangin lorsqu'elle l'a laissé quitter son appartement, et c'est bien entendu ce souvenir qui l'inquiète le plus. Il ne devrait même pas se déplacer, si cela se trouve... Il avait l'air trop affaibli, c'est à peine s'il pouvait parler, elle se souvient. Mais avec la tête de mule insupportable qui lui sert de frère, il lui était impossible de savoir avec certitude ce dont le concerné pouvait souffrir.

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    — Jeeeeeeeeeeff ?! Qu'elle arrive enfin devant l'entrée de cette petite maison de banlieue, toquant à la porte avec frénésie, appelant de plus belle, — Jeeeeeeeff, t'es làààààà?!

    Pas de réponse. Mais un affreux et désagréable pressentiment... La jeune fille se dépêche alors de faire le tour de la bâtisse pour tenter de scruter à travers ses quelques fenêtres.

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    — Jeeeeff ?! Putaiiiiin, Jeeeff?!! qu'elle fait très vite une fois arrivée en espionne devant la chambre du couple Beckers, — Jeff, Ana ?!? qu'elle continue d'appeler assez fort en cognant à travers la vitre. Pas de réponse, une nouvelle fois.

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    La maîtresse de maison semble absente des lieux et son frère semble avoir perdu connaissance, là, à moins de trois mètres d'elle, il est couché à même le sol sur la trainée de sang qui a taché la moquette de la pièce lors de l'assassinat de la nourrice du jeune Noah... : Ce n'est pas pour rien que le jeune Beckers est venu se recroqueviller sur cette salissure-là. Pour qu'il puisse se souvenir, du début de la fin... Du meurtre de cette pauvre baby-sitter, de l'enlèvement de son fils bien-aimé, par tout d'abord des mafiosos, puis par sa propre fiancée.

    Constatant que son frère ne semble pas décidé à répondre à ses appels, cris désespérés, Eva décide alors qu'elle n'a donc plus le choix : cette fenêtre qui la sépare de son jumeau, elle l'explosera ! À l'aide de ce gros caillou, qu'elle trouve très vite dans le jardin.
    Moins d'un quart d'heure plus tard, elle pénètre enfin à l'intérieur, en s'écorchant les coudes sur les rebords de la fenêtre qu'elle vient de briser.

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    — Jeff, réponds-moi, crétin!! qu'elle se précipite sur le concerné, l'attrapant, le remuant, le prenant vivement dans ses bras, le suppliant, le priant d'être encore en vie, — REVEIL ! ALLEZ ! ON SE BOUGE ! Jeeeeeeeeeff ! qu'elle beugle, laissant échapper un soudain torrent de larmes.

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    — Je, je.. E.. Eva? tente difficilement l'irréductible Jeffrey, reprenant douloureusement connaissance suite aux cris de sa jumelle, les yeux encore rougit par les nombreuses larmes qu'il a versées il y a peu, — Eva, Eva.. je, je.. Qu’il reprend ensuite, sanglotant avec détresse, reniflant, tout en s'agrippant désespérément aux avant-bras de sa soeur, comme si sa vie en dépendait, — Eva, je.. Je.. Eva...

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    — Je suis là, chut... le cajole la concernée en le berçant doucement et affectueusement, grimaçant légèrement de douleur en jetant un oeil furtif à l'un de ses bras griffés, — où est Ana? Tu veux que je l'appelle? Qu'elle ajoute, anxieuse, - et Noah, où est-il ?!

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    — Elle est partie, Eva.. Elle est.. Avec les enfants, Et.. Je..

    — Hein???? Qu'est-ce que tu dis?!? Ana est parti?! Mais où ?!

    — J'ai tout perdu, ça y est.. Eva...

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    — Ana s'est barré ?! Réellement ??? Mais pourquoi ?? Qu'est-ce qu'il s'est passé, explique-moi!! j'en ai marre d'être toujours la dernière au courant de tout !

    — Elle ne m'aime plus, je suis une pourriture, je suis nuisible... s'accable Jeffrey, complètement abattu, fermant les yeux, résigné, pleurant silencieusement.

    — Et ta connerie, elle est pas nuisible, elle ?! Et puis arrête de pleurer, ça ne te ressemble pas ! Grogne Eva en secouant le corps de son frère, râlant contre son visage inondé de larmes, - je suis là, moi, et je ne t'abandonnerai pas! Alors, tu te relèves, car tu en as vu d'autres, Jeff! Hop hop, tu vas t'appuyer sur moi, et on va rentrer à la maison.

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    — Qu.. Quelle maison..? Ils sont plus là. Se maugrée à lui-même Jeffrey pour se rappeler de façon bien masochiste qu'il n'a plus ce petit bonheur tout simple : un doux logis où il pouvait retrouver une famille...

    — Chez moi, boulet, reprend sévèrement Eva, — tu vas venir à l'appartement, tu y seras très bien.

    — Hors de question, je ne te mettrais plus jamais en danger. Alors, laisse-moi, Et...

    — Il ne me semble pas t'avoir demandé ton avis. Et puis je te rassure, tu ne peux pas me mettre en danger, plus aujourd'hui. Je te rappelles que je suis September, mon immeuble est très surveillé. Et puis pour tes « activités », je peux t'être une couverture parfaite.

    — Pardon?! Qu'est-ce que tu insinues?! reprend Jeffrey plus énergiquement.

    — Tu sais très bien ce que j'insinue. Et je ne te juges pas, je ne veux pas non plus savoir ce que tu fais, ou quoi.. Je dis juste qu'en étant un peu à mes côtés, ça t'apporterait une excellente couverture et protection, vis-à-vis des autorités, au moins.

    — Eva... Dis moi, ça fait longtemps que tu réfléchis à moi comme ça? reprend Jeffrey avec suspicion et angoisse, sentant sa gorge se nouer et un soupçon d'humiliation se pointer au fond de lui.

    — Ne me prends pas pour une conne non plus, Jeff... J'ai des yeux, je vois.

    — Mouais... Mais en tout cas, c'est niet. J'ai trop d'ennemis pour me pavaner dans ton entourage, et je me suis juré que ce qui s'est produit il y a quelques mois n'arriverait plus jamais ! J'ai pas envie que certains se souviennent, ou apprennent, que j'ai une soeur sur Berlin.

    — Niveau protection, je ne crains aujourd'hui plus rien, alors même si quelqu'un essayait éventuellement de s'en prendre à moi, il n'aurait aucun moyen de réussir. Je suis la couverture parfaite Jeff, et tu le sais. De toi à moi, tu sais très bien que je suis ce qu'il te faut. Alors pour une fois, tu vas fermer ta grande gueule et c'est moi qui vais décider pour nous deux. Parce qu'aujourd'hui, tu n'es de toute manière pas en état de protester, regarde-toi... tu as besoin de moi, et tu le sais. Parce que te connaissant, tu n'arrêteras pas tes activités, et moi, je n'ai pas envie de continuer de craindre de voir un jour mon frère dans une cellule.

    — Tu fais chier, je t'ai dit que... commence à s'agacer Jeffrey de la logique des dires de sa soeur. Cette petite honte en lui commence à grandir, grandir...

    — Je m'en branle de ton avis. Où est-ce que tu as vu que je te demandais un choix quelconque?!! On va chez moi, un point c'est tout. Reprends Eva dans un grognement de lassitude, — désormais, tu vis avec moi! Et si t'es pas content, c'est la même chose. Alors, appuies toi sur moi, je vais t'aider à te relever. On a la voiture qui nous attend dehors.

    —… Je, je.... Raah, que tu m'énerves, finit par se résigner Jeffrey, écoeuré par sa propre personne, baissant les bras, se laissant porter ensuite jusqu'au véhicule de sa soeur jumelle qui est conduite par un chauffeur. Dans la voiture, il observe le paysage défiler à grande vitesse derrière la vitre et soupire, l'air perdu. Désappointé, il s'allonge ensuite sur la banquette de la voiture et pose sa tête sur les genoux de sa soeur assise à ses côtés. Il abdique.

     

     

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    Pas très loin d'ici, sur le chemin menant à l'extérieur de l'établissement carcéral berlinois, un coeur vient de voler en éclats. Évidemment celui de Tiphanie Cobain... qui vient de se faire refuser une visite conjugale par son époux.

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    La jeune femme ne comprend pas. Il n'a même pas souhaité la voir... pas même au parloir. Elle est donc complètement abattue, et plus perdue que jamais. Qu'arrive-t-il à son époux? Un tel comportement ne lui a jamais ressemblé.

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    Aurait-il soudainement décidé qu'il n'éprouve plus le moindre sentiment à son égard? Impossible. Elle ne veut pas y croire. Cela lui semblerait trop loufoque. Pas eux. Pas après tout ce qu'ils ont pu traverser ensemble. Ils s'aiment. Ils sont parents, ensemble! Parents d'un adorable nourrisson. Leur petit Andréas. Le fruit de leur amour infini...

    Tiphanie se mord les lèvres. Elle ne comprend pas. Il y a forcément une explication au comportement de son Kurt. Quelque chose qui lui cacherait. Quelque chose qui l'empêcherait de venir passer un peu de temps avec elle. Peut-être est-il en danger, dans cette prison? Elle commence à craindre le pire. Oui, c'est surement cela. Il doit forcément craindre quelque chose! Son Kurt a des soucis. Et surement des graves. Pour qu'ils puissent les empêcher de se retrouver, eux qui s'aiment tant...

     

     

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    Des interrogations, Tiphanie n'est pas la seule à s'en poser. Oh que non, puisqu'Eva est elle aussi rongée par d'effroyables doutes et surtout par une affreuse et insupportable interrogation : mais qu'elle mouche a donc bien pu piquer cette idiote d'Ana pour qu'elle décide tout d'un coup de quitter son Jeffrey ?!

    Folle de colère et agacée par sa propre ignorance au sujet de cette histoire, la chanteuse se jette donc sur son téléphone portable une fois son frère remis au lit dans sa chambre, pour tenter d'avoir une discussion on ne peut plus sérieuse avec la cruelle fiancée de son jumeau.

    Mais malheureusement pour la brunette, voilà qu'elle se retrouve très vite à faire le trajet des cent pas dans son salon en essayant désespérément d'avoir la blonde de son frère à l'autre bout du fil : les sonneries se soldent toutes par des échecs cuisants et ce fichu répondeur commence à agacer prodigieusement la chanteuse « — nianiania, veuillez laisser un message.. » qu'elle se maugrée à elle-même, boudeuse, avant de sursauter enfin en réalisant qu'après une énième sonnerie, on semble enfin daigner lui répondre !

    — Oui, allo..? Lui fait la petite voix de la blonde sadique, voix qu'Eva a immédiatement reconnue, évidemment. Elle se presse donc de lui grogner en retour sur un ton on ne peut plus désagréable,

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    — Je suppose que tu te doutes de la raison de mon appel !

    — Eva, je... Je pense que cette histoire ne te regarde pas.

    — Ne me regarde pas ?! Tu penses que cette histoire ne me regarde pas ?! Aurais-tu oublié qu'il s'agit tout de même de mon frère ?!

    — De ton frère, oui, pas de toi.

    — Je veux bien croire qu'il ait des défauts, reprend Eva avec sérieux, prête à entamer l'argumentation du siècle, — je me doute qu'il ne soit surement pas tout blanc dans ta décision de te barrer avec les gosses, mais tout de même, Ana, comment oses-tu lui faire ça ?! Après tout ce qu'il semble avoir traversé ?!

    Bing. Un petit coup de culpabilité. La chanteuse est fière de son coup. Son interlocutrice sera obligée de reconnaître qu'elle a exagéré!

    — « Semble avoir traversé », répète Ana avec dégoût, — tu te rends compte de ce que tu viens de dire, Eva ? Tu es en train de défendre un homme dont tu ne sais rien, au final..

    — J'en sais bien assez pour croire en lui! S'en mord les lèvres la chanteuse, irritée.

    — Je crois en lui moi aussi Eva, mais je.. Ce n'est pas suffisant pour faire tenir notre couple.

    — Tu l'aimes?

    — Bien sûr que oui. Mais je viens de te le dire, ce n'est pas suffisant.

    — Putain, mais où est passé la Ana que j'ai connu ? Celle qui l'aimait à en crever ?! s'emporte vivement Eva, à bout, — À l'époque où il faisait tout pour toi, tu n'aurais jamais tenu ces propos-là! Mais aujourd'hui que t'es tiré d'affaire, alors là, ça devient facile, hop, on a plus besoin de son chevalier servant, c'est ça ?! T'es franchement dégueulasse, Ana ! T'en as conscience, au moins?

    Encore l'attaque de la culpabilité. Mais il faut dire qu'à part cette agression-là, la jeune Beckers n'a pas vraiment d'autre alternative... : à part celle de rappeler que son frère est un idiot, mais un idiot gentil, malgré tout. Pathétique et faible argumentation, en effet.

    — C'est toi qui es dégueulasse de parler comme ça, déglutis Ana en ravalant un sanglot, renvoyant la stratégie de culpabilité à son interlocutrice, — pense à moi, un peu, car ton frère, malgré toutes ses qualités, est très loin d'être un père et un époux, et il ne le sera sans doute jamais.. Et moi, aussi « pute » que j'ai pu l'être par le passé... Oui, c'est de ça dont tu voulais parler, n'est-ce pas? Vas-y, ne te gêne pas pour me rappeler que je n'étais qu'une pauvre prostituée ! Bref, ma petite Eva, oui, la pute que tu juges avec mépris aspire à une vie meilleure avec un époux et un père pour ses enfants qui lui apporterait paix, sérénité, et stabilité... Que cela te plaise ou non, c'est mon choix... J'ai aussi le droit, moi aussi, d'aspirer a tout ces rêves-là...

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    — Tu as au moins posé un regard sur lui et constaté son état avant de le jeter comme une merde...? Marmonne Eva en serrant les dents, s'essuyant ses yeux redevenus humides, — ok il est sans doute pas le prince charmant, mais il t'a ramené Noah, il donnerait sa vie pour toi, pour vous, pour les gens qu'il aime ! Et tu le sais... après si tu penses trouver mieux quelque part, tu me fais rire...

    — J'ai constaté son état en effet, mais ce n'est plus à moi de m'en soucier désormais, je suis désolée, Eva... Alors, prends soin de lui, toi, car il va avoir besoin de sa soeur, reprend Ana en inspirant un grand coup afin de s'enfermer dans une indifférence salvatrice, — sur ce, je dois te laisser..

    — Tu n'as même pas hon...

    Bip.. Bip.. Bip...

    Et voilà. Elle lui a raccroché au nez. Réalise Eva avec une espèce de sourire aigri esquissé, la main tremblante lorsqu'elle observe son téléphone redevenu silencieux dans sa paume droite ouverte.

    La jeune femme prend en ce moment conscience qu'elle sera désormais seule face à un frère qui aura tout perdu et ce fait commence à la terroriser au plus au point. « Sera t-elle en mesure de l'aider? De le sauver? » Le connaissant, si son jumeau décidait de sombrer suite à sa rupture, il le ferait. Présence de sa soeur, ou pas. Car son jumeau tenait trop à sa petite famille et malgré son incroyable courage face aux péripéties de la vie, la jeune fille sait bien que le talon d'Achille de son frère a toujours été les êtres qui lui sont chers.

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    Elle se jure cependant de tenter le tout pour le tout. De ne pas lâcher prise. « Elle l'aidera, du mieux qu'elle peut », qu'elle se répète encore et encore en marchant d'un pas lourd vers la chambre où l'objet de ses frayeurs est censé se reposer pour reprendre un minimum de forces et se remettre -puisque l'idiot du village ne souhaite pas voir de médecin ni aller à l'hôpital-.

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    — Jeff ?! Qu'elle hurle brusquement de terreur en pénétrant dans sa chambre, surprenant le concerné assis sur le lit, en train de s'amuser à faire tourner le chargeur de son arme, un étrange sourire peint sur le visage.

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    — T'inquiètes, j'allais pas le faire, la rassure très vite le jeune homme, haussant les épaules, l'air éteint, vide.

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    « Il n'allait pas le faire, mais il en meurt réellement d'envie... » analyse bien Eva en s'interdisant cependant d'exploser en sanglots, bien consciente qu'à partir d'aujourd'hui, il faudra qu'elle soit assez suffisamment forte pour deux.

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    — Range-moi ça, et recouche-toi, qu'elle lance alors en inspirant un grand coup, serrant les dents et se rapprochant de son frère pour le pousser contre le lit, le border presque de force, et lui arracher son arme qu'elle range très vite dans l'un des tiroirs de la grande commode, — tu dors, maintenant, qu'elle reprend ensuite, l'air sévère, en direction d'un Jeffrey immobile et silencieux sous sa couette tel un gamin que l'on vient de punir pour une très grosse bêtise...





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