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    Quelques heures plus tard, il est désormais 7h du matin sur Wilmington et Tobias est posté sur le pas de la porte de sa jeune cousine, Ellie. Le jeune allemand a presque couru jusqu'ici, voulant arriver le plus tôt possible. Il a très mal dormi la veille, voire pas du tout... Il se sent en ce moment un peu perdu et ne sait pas vraiment ce qu'il fiche devant le domicile d'une jeune fille à première vue des plus niaises, mais il ne bouge cependant pas d'un poil. Il vient de sonner, quelqu'un ne va sans doute plus tarder à venir lui ouvrir désormais.. Il attend donc patiemment, tout en repensant à cette scène qui s'est déroulée la nuit dernière. Cette scène des plus pathétiques et honteuse, Et il le pense sincèrement, mais.... mais il a pourtant envie de rester là, devant cette porte, à attendre patiemment de voir apparaître derrière une certaine bouille qu'il meurt d'envie de retrouver..

    — Tobias ? Tu es bien matinal, aujourd'hui !

    Échec. Ce n'est que sa tante Lauren qui lui ouvre soudain la porte, le surprenant brusquement dans ses rêveries. En effet, il était déjà parti à cent lieux, lui, perdu et bercé dans un doux monde de rêves...

    — Coucou Lauren !! qu'il se reprend cependant, souriant bêtement, — je viens voir Ellie !

    — Comme si tu avais besoin de le préciser ! Lui répond aussitôt son interlocutrice avec taquinerie, reprenant ensuite affectueusement en tirant son neveu préféré vers l'intérieur de l'appartement, — allez entre, mon grand. Tu trouveras la grosse dans sa chambre, elle dort encore, je crois !

    — Ok, je vais la réveiller, alors !!! Je vais lui lancer des trucs !!! se hâte le batteur vers la fameuse pièce, sous le regard amusé de sa chère tante qui hausse les épaules avec amusement.

     

    « Qu'est-il en train de faire? » se demande vite fait Tobias avec nervosité en parcourant, bras croisés, le long couloir menant à la chambre de sa jeune cousine, « Une connerie » « Une grosse connerie? » « Une énorme connerie? »

    Il stresse de plus en plus, ravalant sa salive avec angoisse. Il ne se reconnaît plus... lui qui d'ordinaire est pourtant si mature et sur de ses convictions et pensées, là, il ne sait plus vraiment où il en est, ni ce qu'il désire, au fond. Et peut-être qu'il fait complètement fausse route, aussi. Peut-être a-t-il mal interprété la réaction démesurée de sa cousine, la veille. Peut-être que toutes les jeunes filles de dix-sept ans se comportent ainsi, après tout. Il est bien connu que très jeunes, elles sont assez fleurs bleues et un peu nia-niaises... Ellie doit faire partie de cette catégorie de midinettes stupides.

    Mais non.
    Mais non!

    Il secoue la tête vivement suite à cette négation, s'agaçant tout seul.
    Il la connait bien! Elle n'est pas de ces idiotes insipides, non!

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    Quoique si, un peu.. En fait.
    Il sourit niaisement en reconnaissant cela.
    « Mais c'est ce qui fait son charme... »

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    — Ellie ?! Qu'il appelle prestement en poussant d'un coup la porte de la chambre de la concernée. Il n'a même pas pris la peine de frapper ! D'un coup, et sans réfléchir à son acte, il est arrivé devant cette porte et l'a poussée sans prévenir ! Perdu dans ses pensées intimes, il avait oublié ce minimum syndical qu'impose la politesse.

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    Et la conséquence de cette entrée fracassante est la découverte d'une jeune fille en chemise de nuit qui était en train de se percer maladroitement un point noir, devant son miroir de chambre.

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    Le visage de la pauvre est encore suintant de biactol et c'est un énorme spot rouge qui se retourne soudain vers le batteur Troublemaker, pour que celui-ci se fasse aussitôt incendier comme un poisson pourri,

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    — Putaaaaainnn qu'est-ce que tu fais là ?! T'es malaaade ?!

    Mourrant de honte, l'adolescente tourne le dos à son crétin de cousin juste après sa réplique, tout en continuant de pester, d'ordonner, de grogner, — soooors de ma chambre !! sooors !!!

    — Euh, je... balbutie sur le coup Tobias sous l'effet de la surprise, avant de se reprendre pour faire plus énergiquement, tout en refermant doucement la porte de la chambre de sa cousine pour se retrouver seul avec elle,

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    — C'était quoi ce cinéma que t'as fait, hier ?!? tu m'as payé la honte !! qu'il la gronde.

    — En quoi ça te paie la honte ?! T'es pas mon père pour te sentir concerné de mes opinions sur l'amour !! fallait bien que quelqu'un lui dise pourquoi Wilfrid garde ces photos, c'était trop flagrant, merde !!!

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    — Et en quoi ça te regarde?!? c'est pas tes oignons !! alors, occupe-toi de tes poupées, de tes Legos, et fous la paix aux grandes personnes !!

    — Pourquoi tu recommences à me rabaisser sur mon âge?

    — Je... s'interrompt brusquement Tobias dans son élan de méchanceté. En effet, il ne comprend pas lui-même son besoin constant de se rappeler à son interlocutrice qu'elle est plus jeune que lui, voire une gamine insignifiante et inutile.

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    —…. Sors de ma chambre, s'il te plait, marmonne Ellie en serrant les dents, honteuse et profondément blessée, — je pense qu'il vaut mieux qu'on se voit un peu moins, désormais, on s'entend pas vraiment, toi et moi..

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    — Non, Ellie, attends, je.. Panique avec angoisse Tobias en faisant deux pas en avant pour se rapprocher de sa jeune cousine, — je, je.. Je m'excuse, pardon, c'est.. C’est vrai que je suis pas très sympa, avec toi, mais je...

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    — S'il te plaît, sort de ma chambre, j'aimerai m'habiller, merci, reste impassible et figée la jeune fille, déçue, lassée, même s'il est vrai qu'en ce moment il n'y a qu'une chose qu'elle désire plus que tout au monde, c'est de se jeter au cou de son interlocuteur pour se blottir contre lui en lui murmurant plein de choses idiotes.. Ou pas. Elle n'en sait plus trop rien, en fait. Une sensation de profonde lassitude l'envahit.. Voire un agaçant dégoût. Comme si quelque chose venait de s'être brisé au fond d'elle-même. Comme si elle se réalisait soudainement pathétique de s'être accrochée à une chimère, à un garçon pour qui il ne fallait rien ressentir.

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    — Ellie, pardon... supplie désormais Tobias, l'air penaud et désemparé, — c'est que.. Il faut comprendre moi, je.. Mais, je.. Enfin... hier, ça te ressemble pas, moi pas comprendre.. Et je.. Je.. Toi devoir me parler un peu, moi être bête, Ellie!!

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    L'anglais de son interlocuteur devenant de plus en plus mauvais au fil des minutes, la jeune fille réalise bien l'embarras et le désespoir du concerné. Elle s'émeut très vit et en déglutis de gêne, sans se retourner pour lui faire face cependant, alors que lui se rapproche encore un peu plus d'elle pour lui passer les bras autour des épaules et la serrer doucement contre lui.

    La gorge nouée, il s'autoflagelle ensuite,

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    — Je.. Je... Je suis stupide!!! Il faut que tu oublies, je dis des choses stupides, des fois!! Pardon, je recommencerai plus, toi pas te fâcher, enchaîne Tobias, stressant de plus en plus à chaque réplique, s'agaçant face au désormais mutisme de son interlocutrice

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    — PARLE MOI, putain!!!!!!!! qu'il commence à la secouer pour la retourner de force et lui faire grogner ensuite yeux dans les yeux, — PARLE-MOI! PARLE PARLE PARLE!!

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    — Mais je te parle, là, crétin!! et puis lâche-moi, tu me fais mal !!! se débat légèrement l'adolescente, les joues en feu et les bras maintenus par son interlocuteur, — lâche-moi, arrête, qu'est-ce que, qu'est-ce que tu.. Qu’elle tente de continuer de pester ensuite, le coeur battant à tout rompre et les hormones en ébullition lorsqu'elle réalise ces baisers humides et sensuels qui lui sont déposés dans le cou, — Tobias, que ?!?

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    — Veux savoir quoi y a dans ta tête, continue Tobias dans un souffle chaud, avant de reposer ses lèvres sur cette peau délicatement fruitée, — parle.. Toi vouloir que j'arrête? Qu'il provoque sensuellement, alternant courte réplique et baiser, — moi pas te croire, Ellie.. Toi avoir quelque chose à me dire... alors toi parler maintenant, toi dire ce que tu veux..

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    — Je, je.. Ton anglais redevient pourri, Tobias...

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    — Pas grave, tu comprendre l'essentiel...

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    — Je..

    — Alors, tu parles?

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    — Pfft, il paraît que je ne suis qu'une gamine inutile, n'est-ce pas?

    — Pas pour dire ça..

    — Tu.. Tu.. T'es chiant!!

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    — Ah ah ah! Me gusta tù, Ellie!

    — Oh non, il tente l'espagnol maintenant!! Faites le taire..

    — Toi venir me faire taire, alors..

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    « La liberté de l'homme, c'est l'innocence. » [Alcuin]


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    « Est-ce une folie d'avoir osé? Etais-ce irréfléchi de vouloir le tenter...? » c'est ce que Wilfrid se dit avec angoisse en patientant sagement derrière la porte de cet appartement ; celui dans lequel est censée habiter sa Paula.

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    En effet, le jeune guitariste avait finalement pris sa décision. Il n'écouterait que son coeur et ses convictions, sans se soucier des mises en garde de son vieil ami, Raphaël. Il serait fou, stupide, et niais à n'en plus pouvoir, il croirait aux miracles, à l'utopie, et à l'amour... Puis il toquerait à cette porte.

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    C'était ce qu'il avait décidé. De se prendre en pleine face ce râteau. De ne pas le fuir lâchement et d'accepter de le voir arriver en plein sur son gros nez! Il aurait ce courage-là. S'il devait se faire jeter comme un moins que rien, eh bien il vivrait ce moment. Sans le fuir... il l'accepterait.

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    — Wil.. Wilfrid ?! Wilfrid ????

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    La voilà. La muse qu'il attendait vient soudain de lui ouvrir sa porte. « Il a eu de la chance, dit donc... que ce soit elle qui lui ouvre. Un signe du destin, peut-être. Non? » Lui, en tout cas, il se surprend à le penser.

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    — Salut, ça va ? La forme ?

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    — Mais qu'est-ce que tu fiches ici ? Ne peut s'empêcher de pester Paula, se mettant aussitôt sur la défensive ; il l'a déjà tellement brisée et humilié, il lui a déjà tellement brisé ses rêves et espoirs, qu'elle est désormais plus méfiante que jamais.

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    — C'est une façon de saluer les gens ? Grommelle en retour Wilfrid, plutôt vexé. Son égo et sa fierté reprenant le dessus sur ses bons sentiments.

    — Bonjour, Wilfrid! Peux-tu me dire ce que tu fais là? Envoie en retour Paula en s'enveloppant dans une solide carapace d'indifférence. Plus jamais.. Plus jamais il ne la briserait. Plus jamais elle ne se laisserait émouvoir et attendrir par lui. Plus jamais... Elle tente de s'en persuader.

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    — À ton avis...

    Et à ce moment-là, Paula comprenait enfin. Son coeur explosait juste après en mille morceaux et chaque nouveau battement de coeur lui déchirait la poitrine. Le visage de son interlocuteur, tandis qu'il lui prononçait ces trois petits mots, se décomposait lentement. Elle lisait sans difficulté, au creux de ses yeux en forme d'amande qu'elle avait tant aimé, par le passé, une douleur infinie. Un désespoir immense. Un gouffre semblait s'être ouvert sous les pieds de son ex-petit ami. Jeune homme qui l'avait rejeté pendant si longtemps, alors qu'elle rampait encore derrière lui en espérant son pardon pour ses fautes passées... un souvenir qui n'avait pas encore disparu de la mémoire de la jeune Paula. Un souvenir qui lui broyait toujours le coeur dès qu'il remontait à la surface. Un souvenir.. Sans aucun doute inoubliable. Oui, il y a des choses que l'on ne peut sans aucun doute jamais pardonner. Et ce n'est pourtant pas faute d'aimer... parce qu'elle en est folle, de cet homme. Et elle ne se le cachera jamais. Il a été, il est sans doute encore, et il sera surement toujours, le plus grand amour de sa vie. Elle ne l'oubliera jamais, c'est certain. Mais quelque chose s'était brisé en eux. Il avait perdu foi en elle. Puis elle avait ensuite perdu foi en lui. Il l'avait tellement déçue.. À la rejeter ainsi. À l'ignorer de cette façon. À se montrer aussi cruel... il avait un fond méchant. Ce type, avait un fond méchant! Égoïste, indifférent, orgueilleux, moqueur, froid, rancunier, il cumulait, à ne sembler vivre que pour sa petite personne. Et Paula se souvenait de tous ces défauts désormais qu'il se trouvait là planter devant elle, l'air abattu et le regard suppliant. Elle aurait pourtant tellement aimé avoir la force de lui sourire affectueusement pour lui envoyer quelques paroles porteuses d'espoir. Quelques propos rassurants. Elle aimerait tellement, avoir cette force-là...

    — Je.. Je suis désolée, Wilfrid. Je ne sais pas ce que tu es venu chercher ici. Car moi, je vois quelqu'un désormais. Et j'aimerai que tu t'en ailles maintenant. Je ne voudrais pas qu'il te croises.

    Oui, il n'était pas seul à pouvoir être cruel, oui... Paula prenait sa revanche aujourd'hui. Même si, en prononçant ces paroles, elle souffrait tout autant que lui dégustait en l'écoutant les prononcer... Oeil pour oeil, dent pour dent.

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    — C'est une blague ? Ne veut pas y croire Wilfrid, commençant à ironiser pour tenter de digérer la pilule, — tu es en train de me jeter, moi, moi, MOI, Wilfrid ? Qu'il répète de plus en plus nerveusement en commençant à se muer dans une colère noire, — tu me jettes, moi, alors que je viens de me taper onze heures d'avion pour venir te retrouver ?! Tu sais que ça fait deux jours que je n'ai pas dormi plus de deux heures d'affilée, tout ça pour toi ?! Tu te rends compte ?! Que je suis au bord du COMA de fatigue là, POUR TOI ?! Est-ce que tu sais seulement tout ce que par quoi je suis passé pour venir me caler ici, aujourd'hui, devant toi ?! Et toi tu me vires comme ça ?! Non, mais je suis pas d'accord, Pao ! C'est pas comme ça qu'on traite les gens désolé ! C'est pas comme ça qu'on traite quelqu'un qui s'est tapé ONZE PUTAIN D'HEURES D'AVION pour venir te voir !!!

    — Wilfrid, calme-toi, tu vas te faire remarquer, baisse les yeux de honte Paula en priant que Jeffrey, qui -d'après Eva- est en train de se reposer dans l'une des chambres de l'appartement, ne se réveille et assiste à cette scène.

    — Non, je ne me calme pas ! Poursuis Wilfrid, désormais au bord de la crise de nerfs, — NON, je ne me calme pas ! Parce que ta réaction n'est pas normale ! Tu n'es pas censé me virer, mais plutôt me sauter dans les bras et me dire que je t'ai manqué ! Qu'il finit par gronder en poussant vivement son interlocutrice en arrière tout en la tenant fermement par les épaules, - putain, PUTAIN ! Tu te souviens au moins de qui je suis ?!!!
    Cette dernière réplique, Wilfrid la laisse tomber avec désespoir juste avant de fondre sur les lèvres de son ex-petite amie pour lui voler un baiser sauvage et enflammé que celle-ci n'a finalement plus la force de refuser.

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    D'accord, elle baisse les armes. D'accord, elle ne peut plus... D'accord, il a gagné. Il fera de toute manière, comme à son habitude, ce qu'il veut d'elle.

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    Comment avait-elle finalement pu s'imaginer qu'elle saurait réussir à continuer de lui dire « non » ? Lui qui représente toute sa vie et sans qui elle n'était de toute manière plus rien. Naïve. Oui, qu'elle avait été atrocement naïve en se perdant dans un déni bien mensonger.

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    Comme si pendant son absence, elle avait pu vivre et être entière.. Dieu qu'elle avait pu se mentir à elle-même tout le long de ces semaines. Et c'est aujourd'hui seulement qu'elle le réalise, alors que son coeur s'emballe en rythme avec ces baisers passionnés qu'il lui offre. Elle la ressent de nouveau, cette force incroyable qui la submerge. Cette sensation d'être roi et de pouvoir soulever des montagnes !

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    Elle sautillerait bien sur place et pousserait bien un hurlement de joie à en réveiller une dizaine de voisins, si elle ne se retenait pas. À cet instant, plus rien ne compte, à cet instant, le monde pourrait s'arrêter de tourner, à cet instant, les amoureux ne sont que deux. Fous d'amour et égoïstes, plus rien n'existe. Ensemble, ils pourraient tout affronter! Et c'est sans même interrompre leurs baisers ardents qu'ils se précipitent tous deux dans la chambre qu'occupe habituellement Silvia. Ils ont besoin de se retrouver! rien que tous les deux. Plus rien n'existe, à leurs yeux! Et si quelqu'un venait soudain leur dire le contraire, il regretterait aussitôt d'avoir existé... Jeffrey? Cela fait maintenant un peu plus de dix minutes que Paula a oublié sa légère aventure avec lui. Comme si elle allait, pouvoir hésiter rien qu'une seule seconde entre ces deux hommes... Comme si rien qu'un seul type sur terre pouvait, rien qu'une seule minute, un seul instant, rivaliser avec son Wilfrid! Foutaises...

     

     

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    Vingt minutes plus tard, les deux amants retrouvés, réconciliés, continuent de s'embrasser, se câliner, après de sauvages et ardents ébats amoureux. Ils en profitent pour discuter, se raconter ce qu'ils ont de nouveau dans leurs vies, tous les deux. Wilfrid est très bavard. En effet, avec tout ce qu'il a vécu dernièrement, son voyage, cette nouvelle ville qu'il fallait que lui et ses amis apprivoisent, sa vie d'artiste.. Il a de quoi nourrir des conversations pendant des heures et des heures, sans s'arrêter.

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    Sa compagne retrouvée l'écoute sagement, attendrie, heureuse, au comble du bonheur même. Lovée contre lui, elle est aux anges. Humant son doux parfum qui lui avait tant manqué, elle est actuellement la plus heureuse des femmes du monde. Plus rien ne compte, plus rien n'existe, n'a d'importance.. Tant que lui est là. Même si c'est pour lui raconter mille et un récits qu'elle finit par ne plus calculer. Il est si mignon.. si adorable. Comment avait-elle pu? Réussir à vivre sans lui, ne serait-ce que quelques mois... Le coeur de la jeune fille se serre soudain.

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    — Qu'est-ce que tu projettes de faire, maintenant ? Qu'elle envoie discrètement à son compagnon pour couper son long monologue qu'elle n'écoutait plus depuis un moment, de toute manière. Son ton est plutôt triste, lorsqu'elle pose cette question à son amant. Elle craint évidemment une nouvelle séparation, en ravalant douloureusement sa salive. Elle en est bien consciente, son guitariste préféré ne pourra pas rester à ses côtés tous les autres matins qui suivront celui-ci... Elle n'est pas paranoïaque, elle est lucide.

    — J'allais y venir! Répond Wilfrid sans hésitations, enthousiaste et confiant, - bon, déjà, il faut que tu saches que dans une semaine, on doit monter sur Jacksonville, tu vois où c'est, où tu es toujours aussi mauvaise en Géographie?

    — Mais suicide-toi, va ! Oui, je sais où c'est ! C'est vers... Le milieu, là, par là, quoi.. Non ?

    — C'est un peu au nord de Wilmington, complètement à l'Est du pays!

    — Bah c'est ce que je disais, vers le milieu, par là.. Vers la droite, rooh, on va pas chipoter pour quelques kilomètres!

    — Bref tout ça pour dire qu'il faut que je sois rentré pour le déménagement. Je ferais bien mon crevard en allant directement à Jacksonville, mais je ne crois pas qu'ils apprécieront.

    — Et pourquoi ne restez-vous pas à Wilmin-truc ?

    — Tu m'écoutes des fois quand je te parle? Je t'ai dit tout à l'heure que la maison de disques et le studio d'enregistrement sont à Jackson ! C'est beaucoup plus pratique qu'on se pose là-bas, donc. On n’a rien à gagner à squatter à Wilming', à part à se taper régulièrement une centaine de kilomètres en caisse.

    — Je vois, je vois, semble sceptique Paula, — donc, tu.. Ne reste qu'une semaine ici?

    — Je crois, oui. Et je me demandais si..

    — J'ai cours, Wil'. Mes parents ne me laisseront jamais.

    — T'es majeure, non?

    — Mais pas rebelle à ce point-là!

    — Ouais, j'avoue... Argh, ça va être la loose alors, mais on va se démerder, on trouvera bien une solution! Ne panique pas, car l'inquiétude te donne des rides et te rend moche!

    — Au pire, ce n'est que le temps que je passe mon bac..

    — Et que tu l'aies, cette fois.. Glousse Wilfrid.

    — Je t'avais pas dit de te suicider toi, tout à l'heure ?!

    — Fais ta belle, mais tu me rejoindrais aussitôt dans la tombe, folle de désespoir, si je le faisais !

    — Uhhhhhh..... Pas sûr, niark!

    — Au fait, Pao, je voulais te demander...

    — Oui ? Ne prends pas cet air sérieux, tu me fais peur !!

    — Je suis venu avec Raph', et je me demandais s'il fallait que je le dise à Eva... Parce qu'en arrivant, on l'a aperçue de loin avec un gars bizarre et...

    — Merde... Vous l'avez vue avec Gabriel ? Le grand châtain ?

    — C'est son nouveau mec ? Ça fait longtemps qu'ils sont ensemble ? Pourtant, on aurait dit qu'elle était encore à fond sur Raph'..

    — Le plus dur est passé, Wil', et pour être honnête.. Je ne sais pas s'il faut qu'elle sache que Raph' est sur Berlin.

    — Sérieusement...? Raph' s'est décomposé sous mes yeux quand il l'a vue et.. Il est désespéré, tu sais...

    — Elle est bien avec Gabriel, c'est un type vraiment chouette, tu sais... Et sincèrement, je ne crois pas que Raph' soit en droit de venir espérer quoi que ce soit ici. Ça serait limite dégueulasse.. Qu'il la laisse vivre sa vie.

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    — Bouaaah, t'es devenue méchante toi, t'es pu ma chérie.

    — Mais toi t'es toujours mon gamin immature préféré!

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    « Mon guitariste stupide et idiot.. Que je vais perdre de nouveau dans une semaine... »


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    Un quart d'heure plus tard, les deux amoureux euphoriques d'être ensemble ressortent enfin, main dans la main, de la chambre de Silvia. Ils sont évidemment plutôt pressés, car occuper trop longtemps la chambre de la pauvre Silvia n'est pas leur intention première, des fois que celle-ci rentrerait prématurément à l'appartement pour ensuite vouloir se rendre dans son territoire...

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    Revenus dans la pièce principale, la salle à manger, les amants tombent nez à nez sur Eva, accompagnée de son beau Gabriel. Wrilfrid fait aussitôt la grimace, tandis que Paula se dépêche de saluer avec politesse le jeune homme.

    Puis la jeune Beckers se précipite à son tour, l'air enthousiaste,

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    — Wilfrid ?!! Mais qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu es de retour ?!!!

    — Il est en touriste, je lui manquais trop, sourit innocemment Paula, le coeur en liesse, pinçant les fesses de son homme, provoquant ainsi un grommellement de celui-ci et les rires des deux autres protagonistes de la pièce.

    — Bande de petits cachottiers, rit alors Eva, — tous les deux, vous êtes vraiment des cas!
    Évidemment, après que son amie Paula lui ait répété encore et encore, et ce pendant des jours et des jours, que plus jamais elle ne repenserait à ce « sale type », la jeune chanteuse est bien entendu des plus amusées de constater que la bête fière soit retombée entre les griffes de son ex-amour. Mais cela lui fait très plaisir, cela dit. Et elle se met très vite à se demander si le jeune guitariste Troublemaker s'est rendu seul, sur Berlin.

    — Tu ne nous présentes, pas, Eva ? Fait sans attendre Wilfrid en dévisageant d'un air froid l'homme en face de lui.

    — Euhh si, répond alors Eva, désignant du regard les deux personnages masculins de la pièce, — Wilfrid, guitariste Troublemaker, Gabriel, synthé Maëlstrom!

    — Enchanté, se dépêche de sourire poliment Gabriel, ajoutant même ensuite pour flatter son interlocuteur, — même si je n'ai pas besoin de présentation pour savoir qui tu es. Vive les « Troublemaker! »

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    — Moi par contre je ne vois pas du tout qui tu peux être. « Maelstrom... » ? Plus putride comme nom de groupe, on fait plus, rétorque froidement Wilfrid, fusillant son interlocuteur du regard.

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    — Wil... gromelle en retour Eva, rapidement suivie de Paula qui enchaine, en direction de Gabriel,

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    — Il vient de se taper onze heures d'avion, et quelques galipettes! La fatigue l'empêche de réfléchir, excuse-le, Gab'!

    — C'est pas grave, le prend très bien Gabriel, avec un sourire stressé cependant, tandis qu'Eva fait, à destination de Wilfrid, pour changer de sujet,

    — Et tu es venu seul, Wil' ?

    — Je... hésite un instant à répondre le jeune brun en se souvenant des paroles de sa Paula, « son ami Raphaël, avait-il le droit de venir ruiner le bonheur de quelqu'un qui, après avoir énormément souffert de son absence, avait fini par ressortir la tête hors de l'eau? »

    — Non, je suis venu avec Raph ', qu'il se décide après une dizaine de secondes de réflexion, choisissant par cette phrase de n'écouter que ses propres convictions. Sévèrement, prononçant cela, il fixe son interlocutrice droit dans les yeux : jeune fille qui se presse de lui répondre avec indifférence, naturel, et enthousiasme,

    — D'accord! C'est chouette. En tout cas, tu nous as manqué, face de pine!

    — Face de quoi ?!?

    Un éclat de rire presque général se répand dans la pièce, tandis que le coeur d'Eva vole en éclat. Mais cela, elle préfèrerait mourir plutôt que de le faire réaliser à quiconque. « Il est venu sur Berlin, et n'a même pas pris la peine de venir la voir. » Elle ne le lui pardonnera jamais... À cet instant, elle le méprise plus que tout. Le pire des salopards. Voilà ce qu'il est... Son Raphaël Bauer. Elle en a la preuve, désormais.

    Alors, et le plus tendrement du monde, tout en continuant de discuter avec ses deux amis, elle attrape la main de son Gabriel et entrecroise ses doigts entre les siens. Elle va l'aimer, ce type exceptionnel qu'elle adore déjà. « Oh que oui, qu'elle va l'aimer... » Et ensemble, ils construiront la plus belle des histoires d'amour.

    Wilfrid, de son côté, prends l'indifférence de son amie comme une insulte pour son comparse Raphaël. Il la déteste de changer ainsi de sujet pour se mettre à rire et à parler de la pluie et du beau temps. « Comment peut-elle ? » Ne même pas afficher sur son visage la moindre expression de tristesse ? « Serait-elle donc déjà amoureuse de son pianiste crétin membre d'un groupe inutile sans renommée, prestige, ni avenir ? » Wilfrid hallucine. Et une voix masculine se fait soudain entendre de la chambre où dorment habituellement Paula et Eva...

    Jeffrey.

    Ce n'est que le jeune Beckers qui se réveille enfin et difficilement d'une courte sieste et qui appelle la présence de sa soeur jumelle. La concernée se presse donc de le rejoindre pour sauter sur le lit à ses côtés afin de se caler dans son dos, pour ensuite le prendre affectueusement dans ses bras,

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    — Bien dormi ?!? qu'elle le questionne de façon maternelle en lui caressant la joue.

    — Eva, j'ai un ami qui ne va me ramener Noah ici, tu lui ouvriras la porte, s.t.p.?

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    — Bien sur! Mais.. Un ami, Noah, ramener ? Kézako ? Tu m'expliques, Jeff ? J'en ai marre de tes cachotteries...

    — Je... c'est compliqué.

    — Jeff.. ?

    — Il va bien, Eva. Tout le monde va bien, c'est l'essentiel. Tout ira toujours bien.. Je ferais toujours tout pour.

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    — Jusqu'au jour où...

    — Aie confiance en moi un peu!

    — Sois sérieux et prends soin de toi, de ta vie, et peut-être que je...

    — Je le fais déjà, tout ça, je te le promets.

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    — Menteur.

    — Arrête. Crois en moi, et ne me juge pas, stp. Toi au moins...

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    — Justement! Moi, au moins! Qu'est-ce que je vais devenir s'il t'arrivait malheur?! Est-ce que tu penses à moi, des fois au moins??

    — Pffft, tout le temps! Jumeaux for da Win! Beckers Powaaa!

    — Humpf, Gutter pour moi, d'abord!

    — C'est vrai, sale traitresse!

    — D'ailleurs en parlant de Beckers..

    — Ouais hein, toi aussi tu te demandes ce qu'elle devient, l'autre? T'as entendu parler d'elle récemment?

    — Non, mais en même temps, je ne cherche pas, donc...

    — Et Erwan, t'as des nouvelles, je suppose ?!

    — Euh.. Oui. Ils ont essayé une nouvelle fois de recoller les morceaux avec maman, tu le savais?

    — Non. Et ?

    — Et ça a foiré. Mais Erwan n'est pas très bavard sur le sujet, et la presse extrapole toujours au maximum, donc..

    — Dommage. Pfiouh, il s'est passé trop de choses en deux ans, je m'y perds, moi.

    — Ça me manque, Jeff. On était heureux, quand même.. Parfois, maman me manque. Je me demande si un jour, tout ce gâchis pourra être réparé. Elle me manque, vraiment.

    — Elle est comment, la nouvelle copine d'Erwan ? Tu la connais, toi ?

    — Pffft, je te parles de maman, et tu me parles de Laur' ! Insensible, va !

    — Maman, tu sais ce que j'en pense... Mais Erwan, je l'aime bien, et j'espère que ça roule pour lui avec sa nouvelle copine !

    — Il a l'air assez heureux avec Laur, oui. Disons qu'elle est une fille stable avec qui ne pas s'entendre est difficile, c'est le genre de fille sans soucis... Hey, mais tu savais qu'elle était enceinte ?

    — Tu déconnes ?!

    — Putain, tu vis vraiment sur une autre planète Jeff !

    — Fille, gars ?!

    — Aucune idée.

    — T'imagines si maman tombait en cloque, aussi ?! Elle noue chierait un petit frère ou soeur ! L'apocalypse ?

    — On dit "mettre au monde" Jeff ! Et puis moi j'aimerais bien une petite soeur.

    — Petit frère, stp. Marre des greluches! Les filles de sang Beckers naissent sans l'option "cerveau".

    — Oh oh oh, la bonne blague !

    — Imagine un petit Maman/Erwan !

    — Gné ?

    — Sans rire, Eva ! Ils ont retenté l'aventure ensemble à un moment, non ?! Et on sait tous qu'un accident est si vite arrivé... Hin hin hin !

    — C'est pas arrivé en dix-huit ans, je vois pas pourquoi ça arriverait maintenant !

    — Ça toque à la porte, non ? Eva va ouvrir s.t.p., ça doit être Stein !

    — J'y vais! Se dépêche de sauter du lit la jeune fille pour s'en aller récupérer son petit neveu des bras d'un rouquin plutôt imposant qui ne lui marmonnera qu'un « bonjour », et un « au revoir ».

    — Merci beaucoup! Saluera alors poliment la jeune fille alors que son interlocuteur reprend déjà le chemin de l'ascenseur. Très vite, elle ramènera ensuite le poupon à son frère qui se pressera de le prendre dans ses bras, un large sourire de bonheur esquissé sur les lèvres ; son instinct de père enfin rassuré, le jeune Beckers respire à nouveau.

     

     

     

    *

     

     

     

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    Il est huit heures et demie du matin sur Wilmington quand Terry arrive dans la pièce principale de l'appartement qu'il occupe avec ses amis. Devant lui, Et occupée à se faire couler un expresso grâce à la machine prévue à cet effet, il remarque très vite, sa colocataire et amie, Jane.

    — Coucou! Qu'il lui fait alors en arrivant tranquillement vers elle, alléché par le délicat fumet du café chaud qui s'échappe de la cafetière qui se remplit petit à petit.

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    — Coucou Terry! lui renvoie sans attendre la jeune fille, — je te sers une tasse aussi ? Qu'elle lui propose juste après, souriante.

    — Avec plaisir! Accepte le blondinet avec envie, — et sinon, bien dormi, toi?

    — Comme un bébé! Et toi ?

    — Pareil, woé !

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    — Et sinon, quels sont tes projets pour aujourd'hui ? Moi j'allais commencer à refaire mes cartons !

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    — Déjà ? On a pourtant une semaine pour le faire.

    — Oui, mais je n'aime pas attendre le dernier moment, MOI! Ironise amicalement Jane, observant ensuite et un peu plus en détail son interlocuteur, — hmmmm, c'est moi ou tu es drôlement sex aujourd'hui ? C'est le jogging ! C'est un neuf, celui-là, non ? Je l'ai jamais vu avant, il me semble !

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    — Rien à voir avec le jogging, j'ai toujours été sex, mate-moi ces biceps! se défend Terry, fier comme un coq, — mais je ne suis pas le seul canon de la pièce, toi aussi, tu es pas mal, je dois bien l'avouer !

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    — Arrête, je suis même pas maquillée, là ! Je dois vraiment avoir une sale face.

    — Tu es sublime au naturel, Jane !

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    — Heeeeey, retire-moi tout de suite ce ton suave de ta bouche ! Si je ne te connaissais pas, je pourrais croire que tu me dragues ! s'amuse la jeune fille, avant de s'interrompre pour réfléchir quelques instants, l'air sceptique.

    — N'est-ce pas, hein, lui fait alors Terry de nouveau, l'air très sérieux.

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    — Hmmmm...?

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    — Tu viens d'y penser, toi aussi, avoue. Au fait que tous les deux, on soit plutôt bien gâtés par la nature, mais que malgré ça, on soit célibataires comme des cons.

    — C'est pas une preuve de connerie, le célibat. On attend les bonnes personnes, c'est tout.

    — Ou alors, on a toujours attendu après les mauvaises... susurre Terry en se rapprochant soudain de son interlocutrice, la plaquant doucement contre le meuble de la cuisine, les pupilles dilatées par un soudain désir incontrôlé.

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    — Hey, mais tu fais quoi, là? Ne peut évidemment pas s'empêcher de rougir légèrement la jeune fille, — t'es en train soit de me draguer, soit de te moquer de moi..

    — Carrément la première solution. Sors avec moi, Jane.

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    — Ah bah ça au moins, c'est direct! Ris la jeune fille amusée, scrutant le regard des plus sérieux de son interlocuteur, — hey, mais je rêve, ou t'es vraiment sérieux, là ? Qu'elle redemande ensuite, — vraiment, vraiment, sérieux ?

    — Pourquoi ? Je ne te plais pas ?

    — Ah si, si, tu es très beau, Terry. Mais...

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    — Alors, arrête de réfléchir, et sors avec moi. Je suis seul, t'es seule, alors sortons ensemble ! On va faire un couple du tonnerre!

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    — Hmmmm... Euhhh... Bon allez, pourquoi pas! Répondra simplement Jane avec un sourire taquin et à la fois provocant, tout en se hissant sur la pointe des pieds pour se lover contre son nouveau petit ami et scotcher voluptueusement ses lèvres aux siennes.





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