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    « Est-ce une folie d'avoir osé? Etais-ce irréfléchi de vouloir le tenter...? » c'est ce que Wilfrid se dit avec angoisse en patientant sagement derrière la porte de cet appartement ; celui dans lequel est censée habiter sa Paula.

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    En effet, le jeune guitariste avait finalement pris sa décision. Il n'écouterait que son coeur et ses convictions, sans se soucier des mises en garde de son vieil ami, Raphaël. Il serait fou, stupide, et niais à n'en plus pouvoir, il croirait aux miracles, à l'utopie, et à l'amour... Puis il toquerait à cette porte.

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    C'était ce qu'il avait décidé. De se prendre en pleine face ce râteau. De ne pas le fuir lâchement et d'accepter de le voir arriver en plein sur son gros nez! Il aurait ce courage-là. S'il devait se faire jeter comme un moins que rien, eh bien il vivrait ce moment. Sans le fuir... il l'accepterait.

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    — Wil.. Wilfrid ?! Wilfrid ????

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    La voilà. La muse qu'il attendait vient soudain de lui ouvrir sa porte. « Il a eu de la chance, dit donc... que ce soit elle qui lui ouvre. Un signe du destin, peut-être. Non? » Lui, en tout cas, il se surprend à le penser.

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    — Salut, ça va ? La forme ?

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    — Mais qu'est-ce que tu fiches ici ? Ne peut s'empêcher de pester Paula, se mettant aussitôt sur la défensive ; il l'a déjà tellement brisée et humilié, il lui a déjà tellement brisé ses rêves et espoirs, qu'elle est désormais plus méfiante que jamais.

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    — C'est une façon de saluer les gens ? Grommelle en retour Wilfrid, plutôt vexé. Son égo et sa fierté reprenant le dessus sur ses bons sentiments.

    — Bonjour, Wilfrid! Peux-tu me dire ce que tu fais là? Envoie en retour Paula en s'enveloppant dans une solide carapace d'indifférence. Plus jamais.. Plus jamais il ne la briserait. Plus jamais elle ne se laisserait émouvoir et attendrir par lui. Plus jamais... Elle tente de s'en persuader.

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    — À ton avis...

    Et à ce moment-là, Paula comprenait enfin. Son coeur explosait juste après en mille morceaux et chaque nouveau battement de coeur lui déchirait la poitrine. Le visage de son interlocuteur, tandis qu'il lui prononçait ces trois petits mots, se décomposait lentement. Elle lisait sans difficulté, au creux de ses yeux en forme d'amande qu'elle avait tant aimé, par le passé, une douleur infinie. Un désespoir immense. Un gouffre semblait s'être ouvert sous les pieds de son ex-petit ami. Jeune homme qui l'avait rejeté pendant si longtemps, alors qu'elle rampait encore derrière lui en espérant son pardon pour ses fautes passées... un souvenir qui n'avait pas encore disparu de la mémoire de la jeune Paula. Un souvenir qui lui broyait toujours le coeur dès qu'il remontait à la surface. Un souvenir.. Sans aucun doute inoubliable. Oui, il y a des choses que l'on ne peut sans aucun doute jamais pardonner. Et ce n'est pourtant pas faute d'aimer... parce qu'elle en est folle, de cet homme. Et elle ne se le cachera jamais. Il a été, il est sans doute encore, et il sera surement toujours, le plus grand amour de sa vie. Elle ne l'oubliera jamais, c'est certain. Mais quelque chose s'était brisé en eux. Il avait perdu foi en elle. Puis elle avait ensuite perdu foi en lui. Il l'avait tellement déçue.. À la rejeter ainsi. À l'ignorer de cette façon. À se montrer aussi cruel... il avait un fond méchant. Ce type, avait un fond méchant! Égoïste, indifférent, orgueilleux, moqueur, froid, rancunier, il cumulait, à ne sembler vivre que pour sa petite personne. Et Paula se souvenait de tous ces défauts désormais qu'il se trouvait là planter devant elle, l'air abattu et le regard suppliant. Elle aurait pourtant tellement aimé avoir la force de lui sourire affectueusement pour lui envoyer quelques paroles porteuses d'espoir. Quelques propos rassurants. Elle aimerait tellement, avoir cette force-là...

    — Je.. Je suis désolée, Wilfrid. Je ne sais pas ce que tu es venu chercher ici. Car moi, je vois quelqu'un désormais. Et j'aimerai que tu t'en ailles maintenant. Je ne voudrais pas qu'il te croises.

    Oui, il n'était pas seul à pouvoir être cruel, oui... Paula prenait sa revanche aujourd'hui. Même si, en prononçant ces paroles, elle souffrait tout autant que lui dégustait en l'écoutant les prononcer... Oeil pour oeil, dent pour dent.

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    — C'est une blague ? Ne veut pas y croire Wilfrid, commençant à ironiser pour tenter de digérer la pilule, — tu es en train de me jeter, moi, moi, MOI, Wilfrid ? Qu'il répète de plus en plus nerveusement en commençant à se muer dans une colère noire, — tu me jettes, moi, alors que je viens de me taper onze heures d'avion pour venir te retrouver ?! Tu sais que ça fait deux jours que je n'ai pas dormi plus de deux heures d'affilée, tout ça pour toi ?! Tu te rends compte ?! Que je suis au bord du COMA de fatigue là, POUR TOI ?! Est-ce que tu sais seulement tout ce que par quoi je suis passé pour venir me caler ici, aujourd'hui, devant toi ?! Et toi tu me vires comme ça ?! Non, mais je suis pas d'accord, Pao ! C'est pas comme ça qu'on traite les gens désolé ! C'est pas comme ça qu'on traite quelqu'un qui s'est tapé ONZE PUTAIN D'HEURES D'AVION pour venir te voir !!!

    — Wilfrid, calme-toi, tu vas te faire remarquer, baisse les yeux de honte Paula en priant que Jeffrey, qui -d'après Eva- est en train de se reposer dans l'une des chambres de l'appartement, ne se réveille et assiste à cette scène.

    — Non, je ne me calme pas ! Poursuis Wilfrid, désormais au bord de la crise de nerfs, — NON, je ne me calme pas ! Parce que ta réaction n'est pas normale ! Tu n'es pas censé me virer, mais plutôt me sauter dans les bras et me dire que je t'ai manqué ! Qu'il finit par gronder en poussant vivement son interlocutrice en arrière tout en la tenant fermement par les épaules, - putain, PUTAIN ! Tu te souviens au moins de qui je suis ?!!!
    Cette dernière réplique, Wilfrid la laisse tomber avec désespoir juste avant de fondre sur les lèvres de son ex-petite amie pour lui voler un baiser sauvage et enflammé que celle-ci n'a finalement plus la force de refuser.

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    D'accord, elle baisse les armes. D'accord, elle ne peut plus... D'accord, il a gagné. Il fera de toute manière, comme à son habitude, ce qu'il veut d'elle.

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    Comment avait-elle finalement pu s'imaginer qu'elle saurait réussir à continuer de lui dire « non » ? Lui qui représente toute sa vie et sans qui elle n'était de toute manière plus rien. Naïve. Oui, qu'elle avait été atrocement naïve en se perdant dans un déni bien mensonger.

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    Comme si pendant son absence, elle avait pu vivre et être entière.. Dieu qu'elle avait pu se mentir à elle-même tout le long de ces semaines. Et c'est aujourd'hui seulement qu'elle le réalise, alors que son coeur s'emballe en rythme avec ces baisers passionnés qu'il lui offre. Elle la ressent de nouveau, cette force incroyable qui la submerge. Cette sensation d'être roi et de pouvoir soulever des montagnes !

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    Elle sautillerait bien sur place et pousserait bien un hurlement de joie à en réveiller une dizaine de voisins, si elle ne se retenait pas. À cet instant, plus rien ne compte, à cet instant, le monde pourrait s'arrêter de tourner, à cet instant, les amoureux ne sont que deux. Fous d'amour et égoïstes, plus rien n'existe. Ensemble, ils pourraient tout affronter! Et c'est sans même interrompre leurs baisers ardents qu'ils se précipitent tous deux dans la chambre qu'occupe habituellement Silvia. Ils ont besoin de se retrouver! rien que tous les deux. Plus rien n'existe, à leurs yeux! Et si quelqu'un venait soudain leur dire le contraire, il regretterait aussitôt d'avoir existé... Jeffrey? Cela fait maintenant un peu plus de dix minutes que Paula a oublié sa légère aventure avec lui. Comme si elle allait, pouvoir hésiter rien qu'une seule seconde entre ces deux hommes... Comme si rien qu'un seul type sur terre pouvait, rien qu'une seule minute, un seul instant, rivaliser avec son Wilfrid! Foutaises...

     

     

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    Vingt minutes plus tard, les deux amants retrouvés, réconciliés, continuent de s'embrasser, se câliner, après de sauvages et ardents ébats amoureux. Ils en profitent pour discuter, se raconter ce qu'ils ont de nouveau dans leurs vies, tous les deux. Wilfrid est très bavard. En effet, avec tout ce qu'il a vécu dernièrement, son voyage, cette nouvelle ville qu'il fallait que lui et ses amis apprivoisent, sa vie d'artiste.. Il a de quoi nourrir des conversations pendant des heures et des heures, sans s'arrêter.

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    Sa compagne retrouvée l'écoute sagement, attendrie, heureuse, au comble du bonheur même. Lovée contre lui, elle est aux anges. Humant son doux parfum qui lui avait tant manqué, elle est actuellement la plus heureuse des femmes du monde. Plus rien ne compte, plus rien n'existe, n'a d'importance.. Tant que lui est là. Même si c'est pour lui raconter mille et un récits qu'elle finit par ne plus calculer. Il est si mignon.. si adorable. Comment avait-elle pu? Réussir à vivre sans lui, ne serait-ce que quelques mois... Le coeur de la jeune fille se serre soudain.

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    — Qu'est-ce que tu projettes de faire, maintenant ? Qu'elle envoie discrètement à son compagnon pour couper son long monologue qu'elle n'écoutait plus depuis un moment, de toute manière. Son ton est plutôt triste, lorsqu'elle pose cette question à son amant. Elle craint évidemment une nouvelle séparation, en ravalant douloureusement sa salive. Elle en est bien consciente, son guitariste préféré ne pourra pas rester à ses côtés tous les autres matins qui suivront celui-ci... Elle n'est pas paranoïaque, elle est lucide.

    — J'allais y venir! Répond Wilfrid sans hésitations, enthousiaste et confiant, - bon, déjà, il faut que tu saches que dans une semaine, on doit monter sur Jacksonville, tu vois où c'est, où tu es toujours aussi mauvaise en Géographie?

    — Mais suicide-toi, va ! Oui, je sais où c'est ! C'est vers... Le milieu, là, par là, quoi.. Non ?

    — C'est un peu au nord de Wilmington, complètement à l'Est du pays!

    — Bah c'est ce que je disais, vers le milieu, par là.. Vers la droite, rooh, on va pas chipoter pour quelques kilomètres!

    — Bref tout ça pour dire qu'il faut que je sois rentré pour le déménagement. Je ferais bien mon crevard en allant directement à Jacksonville, mais je ne crois pas qu'ils apprécieront.

    — Et pourquoi ne restez-vous pas à Wilmin-truc ?

    — Tu m'écoutes des fois quand je te parle? Je t'ai dit tout à l'heure que la maison de disques et le studio d'enregistrement sont à Jackson ! C'est beaucoup plus pratique qu'on se pose là-bas, donc. On n’a rien à gagner à squatter à Wilming', à part à se taper régulièrement une centaine de kilomètres en caisse.

    — Je vois, je vois, semble sceptique Paula, — donc, tu.. Ne reste qu'une semaine ici?

    — Je crois, oui. Et je me demandais si..

    — J'ai cours, Wil'. Mes parents ne me laisseront jamais.

    — T'es majeure, non?

    — Mais pas rebelle à ce point-là!

    — Ouais, j'avoue... Argh, ça va être la loose alors, mais on va se démerder, on trouvera bien une solution! Ne panique pas, car l'inquiétude te donne des rides et te rend moche!

    — Au pire, ce n'est que le temps que je passe mon bac..

    — Et que tu l'aies, cette fois.. Glousse Wilfrid.

    — Je t'avais pas dit de te suicider toi, tout à l'heure ?!

    — Fais ta belle, mais tu me rejoindrais aussitôt dans la tombe, folle de désespoir, si je le faisais !

    — Uhhhhhh..... Pas sûr, niark!

    — Au fait, Pao, je voulais te demander...

    — Oui ? Ne prends pas cet air sérieux, tu me fais peur !!

    — Je suis venu avec Raph', et je me demandais s'il fallait que je le dise à Eva... Parce qu'en arrivant, on l'a aperçue de loin avec un gars bizarre et...

    — Merde... Vous l'avez vue avec Gabriel ? Le grand châtain ?

    — C'est son nouveau mec ? Ça fait longtemps qu'ils sont ensemble ? Pourtant, on aurait dit qu'elle était encore à fond sur Raph'..

    — Le plus dur est passé, Wil', et pour être honnête.. Je ne sais pas s'il faut qu'elle sache que Raph' est sur Berlin.

    — Sérieusement...? Raph' s'est décomposé sous mes yeux quand il l'a vue et.. Il est désespéré, tu sais...

    — Elle est bien avec Gabriel, c'est un type vraiment chouette, tu sais... Et sincèrement, je ne crois pas que Raph' soit en droit de venir espérer quoi que ce soit ici. Ça serait limite dégueulasse.. Qu'il la laisse vivre sa vie.

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    — Bouaaah, t'es devenue méchante toi, t'es pu ma chérie.

    — Mais toi t'es toujours mon gamin immature préféré!

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    « Mon guitariste stupide et idiot.. Que je vais perdre de nouveau dans une semaine... »

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