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    — Oui, allo? Décroche d'un air agacé son téléphone portable, Jeffrey ; en effet, là, il se trouve dans une salle de tirs en train de s'entrainer et là, tout de suite, là, maintenant, il n'avait franchement vraiment envie de rien d'autre à part cribler de balles ces enfoirées de cibles en polystyrène! Sa motivation pour les massacrer est de les imaginer être de ceux qui ont enlevé les deux femmes de sa vie...

    — Bonjour, Sylvain, tu me reconnais? Je suis l'oncle de Pierre...

    Cette conversation a lieu en français. Jeffrey parle presque couramment cette langue, désormais.

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    — Oh, bonjour! Comment allez-vous? Redevient très poli le jeune Beckers en se dirigeant hors de la pièce : manquerait plus que son interlocuteur se fasse des idées en entendant les coups de feu des autres Shining qui s'entrainent à ses côtés!

    — Bien, bien, et toi?

    — Très bien aussi. Et Pierre, comment va-t-il? Passez-lui le bonjour pour moi!

    — Justement, c'est pour lui que je t'appelais... Car je suis muté dans le sud et je ne vais pas pouvoir l'emmener...

    — Ah, merde... Et quelle est la date de votre mutation?

    — Après-demain. Alors, il faudrait que tu...

    Après demain?! Si tôt?! Mais c'est-à-dire que là, j'ai des trucs à régler et tout, et je...

    — J'ai vraiment besoin que tu le prennes, Sylvain! Je suis pieds et poings liés là!

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    — Mais les formalités d'adoption, la paperasse et tout et tout, ne sont même pas encore terminées!

    — Sisi, elles sont achevées! Je suis allé appuyer ta demande et t'ai confié sa pleine garde!

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    — Ah ouais d'accord.. Mais euh, c'est-à-dire que... enfin là, vous me prenez de court, tout de même!

    — Et tu m'en vois désolé! Mais je ne peux vraiment pas faire autrement...

    — Mouais bon ok, je viendrais le chercher chez vous demain, laisse finalement tomber Jeffrey, las, blasé.

    — Merci, merci, merci Sylvain! T'es génial! Que Dieu te garde!!! A demain alors!!!

    — Ouais... C'est ça, à demain, soupire le jeune Beckers en raccrochant enfin son téléphone, dépité de devoir prendre si vite la pleine charge d'un enfant si jeune que le petit Pierre.

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    Que va-t-il bien pouvoir en faire?...
    Lui qui passe ses journées à pratiquer des activités illicites -qu'il ne vous révélera pas pour ne pas vous choquer-, tout en vivant dans un studio délabré dans un quartier plutôt malfamé?

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    En plus, laisser seul un enfant dans ce minuscule appartement serait une folie, quand on sait qui en a après lui et ses proches...

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    À moins qu'il ne l'emmène avec lui au QG ? Histoire de se faire encore un peu plus haïr des Shining! À cette pensée, il en rit presque d'ironie.

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    Avec tout ce qu'on lui reproche déjà, il va ajouter à son addition « prend le gang pour un centre pour enfants! »

     

     

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    — Raphaël... Fais confiance à Jeffrey, console chaleureusement Paula en passant amicalement un bras dans le dos du concerné ; en effet, celui-ci vient de craquer il y a quelques minutes, laissant tomber avec désespoir à ses deux interlocutrices tout ce qu'il savait sur ce qui était arrivé à sa petite amie, ainsi que ce que vivait/tentait de faire pour elle, son demi-frère.

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    Idiot? Complètement abruti? Sans doute qu'il l'est oui. D'avoir révélé aussi brusquement tout cela...

    « Il paraît que des fois, l'on a besoin de se confier.... »

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    Mais il fallait que cela sorte. Mais il fallait qu'il le dise à quelqu'un! Qu'il trouve des alliés dans cette sombre histoire.

    Il avait besoin de bras comme ceux-là qui l'enlacent ainsi avec affection. Et tant pis s'il s'agit de ceux de la meilleure amie de son Eva.

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    Il prend là un risque, c'est clair et net. Ces deux filles n'auraient sans doute jamais du savoir... Pour leur bien. Leur sérénité personnelle.

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    Mais tant pis. Dans la vie, parfois, il arrive que l'on fasse des choix absurdes. Irréfléchis.

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    — Ça restera entre nous les filles... Promettez-le-moi...

    — Bien entendu, lui sourit Silvia.

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    — Tu n'as pas à en douter, ajoute sereinement Paula, — comme tu n'as pas à douter de Jeffrey. Crois-moi, je le connais bien...

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    — Tu ne réalises pas dans quoi il trempe! En a les mains moites et qui tremblent Raphaël, — pour que.. Pour qu'ils en arrivent à kidnapper Eva pour, pour...

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    — Jeffrey fait des conneries, mais il donnerait sa vie pour sa soeur, l'interrompt Paula avec assurance, — tous les deux sont liés par quelque chose que tu ne soupçonnes même pas. Elle lui donne sa force et le rend invincible... Non, vraiment, crois-moi sur parole, celui qui séparera les jumeaux n'est pas encore né.

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    Un sourire se dessine sur les lèvres de la jeune châtaine aux mèches dorées. Et pour cause... Elle sait tout de même de quoi elle parle, pour avoir grandi aux côtés des jumeaux Beckers, pour être tombée amoureuse du garçon du duo, pour finir par sortir avec lui quelque temps.

    — Il n'est pas dieu, Paula! Rappelle Raphaël dans un râle, absolument pas convaincu par le monde édulcoré dans lequel semble vivre l'une de ses interlocutrices, — et puis il a l'air d'avoir changé, tu sais.. Je te rappelles que je l'ai vu, sur Paris. Il, il...

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    — Il peut donner l'air d'avoir changé, mais Jeffrey restera toujours Jeffrey, au fond, il restera toujours le même! Fais-moi confiance un peu! Personne ne connait mieux les jumeaux que moi.

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    — Tout ce que je veux, c'est qu'elle revienne saine et sauve... Je.. Je ne sais même pas si elle va bien, Paula.. Ravale un sanglot Raphaël, la gorge nouée, — je, je...

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    Vu son air désespéré et son inquiétude croissante, les deux jeunes filles de la pièce comprennent avec facilité et en moins de deux que les sentiments qui semblent unir leur interlocuteur et sa « demi-soeur » sont loin de n'être que fraternels....

    Cependant, ni l'une, ni l'autre, ne fait de remarque à ce sujet, préférant se contenter de rester silencieuses auprès de cet homme abattu.

    Il a besoin de présence. Et simplement de présence. Il ne faut pas avoir fait de longues études de psychanalyse pour le réaliser et les deux adolescentes, devenues aujourd'hui plus jeunes femmes qu'autre chose, l'ont très vite compris.

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    Alors, elles seront là. Tout simplement... Pour lui. Pour elle. Pour eux. Pour tous les deux....

    Parce que n'est-ce pas cela, finalement, l'amitié? Être là. Tout simplement là.

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    « Le dégoût face à un certain amour incestueux? »

    Il y a plus grave que cela, dans la vie. Les jeunes filles le réalisent.

    Si l'on veut lutter réellement contre quelque chose, autant trouver des causes qui en vaillent vraiment la peine...

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    Et anéantir deux êtres qui s'aiment éperdument n'en est pas une, à leurs yeux.

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