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    Trois jours plus tard, et malgré que son frère lui ait interdit d'aller demander de l'aide pour lui à qui que ce soit, la jeune Beckers reniée est de retour sur Berlin aux côtés de son petit ami : en effet, il est tôt pour rentrer au bercail et quitter si vite son jumeau lui a bien entendu brisé le coeur, mais puisque ce retour précipité est pour la bonne cause...

    L'interdiction de son frère à ce sujet? Elle s'en contrefiche comme de l'an quarante! Sa santé primant sur ses petits désirs.

    C'est donc d'un pas rapide et stressé que le lendemain de son retour dans la capitale allemande elle ira retrouver son beau-père dans son salon de répétition privé.

    Elle souhaite s'entretenir avec lui de la situation de son frère afin que lui, le seul, l'unique, le modèle de sa vie, lui vienne en aide pour qu'elle puisse sauver sa raison de vivre.

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    Seulement, aujourd'hui... Et comme beaucoup d'autres jours de la semaine, Erwan Muller n'est pas seul dans cette grande salle marbrée, mais en compagnie de tout ses compagnons musiciens et surtout, et surtout...

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    ...Au grand désespoir de l'adolescente ex-Beckers, du jeune Bauer...

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    Elle déglutit évidemment en apercevant son ancien -et aussi actuel- amour et salue avec hâte tous les membres du groupe, souriant ensuite timidement en direction de son beau-père ; lui marmonnant honteusement que,

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    - Je.. Je... Erwan, je... Humm non, laisse tomber, en fait.. Qu'elle se contredit très vite et toute seule, sans doute bêtement, clairement niaisement.

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    - Hein? De quoi? s'étonne alors et aussitôt le pianiste des ex-Memories, assis devant son synthétiseur, - C'est l'heure de la pause, là, on ne fait rien, Eva! Si tu as besoin de me parler, je suis là! On va boire un verre, si tu veux.

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    - Je t'appellerais plus tard, je viens de me souvenir que j'ai un rendez-vous urgent! lui fais simplement et à nouveau sa jeune interlocutrice, plus que gênée de se trouver bêtement au milieu du groupe de son beau-père ou trône fièrement son, son, son abruti de Raphaël.. ,

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    - Au revoir tout le monde, je vous laisse répéter! qu'elle sourit alors avec hâte et honte avant de ressortir de la pièce à grandes enjambées, désirant ardemment trouver brusquement un trou de souris pour s'y réfugier...

     

     

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    Complètement anéantie par le fait de ne pas avoir trouvé le courage nécessaire pour demander de l'aide à son beau-père pour son frère, Eva erre ce soir dans les rues de Berlin, et ce, depuis qu'elle a quitté précipitamment la fameuse salle de répétitions des ex-memories...

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    Elle n'osera pas. Désormais, elle en est plus que certaine, elle n'osera pas. Ni ce soir, ni demain, ni même après-demain. Elle n'osera pas. Jamais. Lui demander de l'aide..

    Elle ressentira toujours ce douloureux blocage et jamais elle ne réussira à trouver cette force dont elle a besoin pour appeler au secours. Elle en est certaine et cela la désespère au plus haut point. Plus pathétique, on ne doit plus faire, de nos jours. Elle en arrive même à se demander si elle ne devrait pas faire un emprunt discret pour payer les soins de son frère. Elle le rembourserait petit à petit et grâce aux ventes de ses Singles!

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    De nombreuses enjambées plus tard, la nuit est désormais bien noire. Les lampadaires de la ville commencent leur besogne nocturne, éclairant avec habileté les routes et trottoirs. À vue de nez, jetant un oeil vers le ciel sans étoile, elle dirait qu'il est actuellement vingt heures.. Voire dix-neuf heures trente. Elle ne regarde pas sa montre. Elle n'en a pas besoin. Le "à vue de nez" lui suffisant amplement.. Car pour être honnête, l'heure qu'il peut être réellement est bien le cadet de ses soucis en ce moment.

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    Son petit ami finirait par s'inquiéter si elle rentre tard chez eux?

    Elle s'en contrefiche.

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    Elle n'a pas la tête à penser à lui ce soir... Mais juste à se laisser guider par ses pas en se demandant où est-ce qu'ils finiront par la mener. Elle ne regarde plus vraiment devant elle. Juste le sol qui défile à plutôt vive allure. Elle doit marcher assez vite, pour qu'il file ainsi. Cela l'amuse. Elle en hausse les épaules. Décidément, que l'on peut être con lorsque l'on est malheureux.

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    Tiens, des dalles.. Des dalles d'entre lesquelles s'échappent quelques plantes rebelles...

    Un petit chemin dallé, qu'elle vient à l'instant de reconnaitre.

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    Ça y'est.

    Elle lève enfin yeux pour constater réellement l'environnement qui l'entoure. Son coeur se serre aussitôt.

    Ses pas viennent de la mener tout droit en bas de chez lui.

     

    Sur la petite place qui entoure l'appartement de son ex-petit ami.

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    Elle se trouve actuellement à deux étages en dessous de son.. De son..

     

    De son Raphaël.

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    Sans savoir pourquoi, elle continue sa route. En direction de l'immeuble. La grande porte double s'ouvre toujours en grinçant un bon coup, qu'elle remarque très vite, haussant les épaules, pénétrant à l'intérieur, se dirigeant ensuite vers l'ascenseur, appuyant d'un doigt fébrile sur le bouton "deux".

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    Qu'est-elle en train de faire?

    Encore une fois, pour être honnête, elle n'en sait rien.

    Elle est pathétique et risible de se trouver là, mais elle s'en fiche.

    Elle toque quand même à sa porte. Deux fois.

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    - Eva ?

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    Oh non, voilà que sa bouille d'amour vient de lui ouvrir sa porte!

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    Elle ne le voulait pas. Elle ne s'y attendait pas! Elle aurait espéré qu'il soit absent, en fait.

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    Elle bafouille donc, l'air perdu, les lèvres tremblotantes, le regard se perdant à l'intérieur de l'appartement de son interlocuteur pour finir par constater une Jane en chemise de nuit, à quelques mètres de là...

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    - Je.. Je.. Euh.. Je passais juste dire bonjour, en fait... : BONJOUR!

    "- Mais quel est donc cette niaise qui vient soudain de se ridiculiser ici même?! qu'elle se demande brusquement avec effroi, "- mais qu’un sniper l'abatte sur le champ," qu'elle prie ensuite avec terreur, bégayant désespérément,

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    - Uh Uhhh, bon, je dois rentrer, bye, je, je, j'aime bien prendre des nouvelles des gens que j'apprécie, c'est tout! Eh ehhh! Et on est amis, hein! Enfin, potos, ah ah!

    Bien entendu. Là, elle se demande où est-ce qu'elle a bien pu aller tirer une telle réplique. À croire que l'intégralité de son texte a été écrit par "Kevin, huit ans...".

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    - Attends, Eva!

    Essaie évidemment de l'arrêter son interlocuteur alors qu'elle appuie déjà sur le bouton de l'ascenseur pour que celui-ci se presse de venir la sauver de ce cauchemar ambulant,

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    -Ciaooo les amiiis !

    Qu'elle chantonne tellement niaisement en pénétrant dans la machine mécanique que la mort serait plus douce que cette telle humiliation,

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    - Eva, je..

    "- Et lui, qu'a-t-il à bégayer ainsi avec sa bouille de caliméro adorable? Mais qu'il aille donc au diable!"

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    Et encore heureux que la porte métallique de l'ascenseur se referme presque sur lui : en effet, le coquin a bien entendu tenté d'entrer dans la cabine lui aussi, mais c'était sans compter le fait qu'elle mettrait tout en oeuvre pour l'en empêcher!

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    Parce que vu son état, ce soir, elle serait bien capable de lui sauter dessus pour lui pleurer dans les bras, avant de lui dire des choses qu'elle n'est plus censée lui avouer aujourd'hui, puisqu'ils ont ROMPU!

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    Une réalité qu'elle se répète encore et encore, les larmes de nouveau aux yeux et les pieds de retour sur le trottoir pour reprendre leur inlassable marche.

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    "- C'est l'aventure, cette nuit, ma fille!! Alors, avance, sans regarder devant toi, et voiiis, où est-ce que ton destin te mèneras!" qu'elle se moque elle-même de sa pathétique petite personne.

    "Etape un, chez Raphaël."

    Quelle sale blague de Mr Destin.

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    "Étape deux, chez.. Chez..."

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    Devant un cimetière.

    Un quart d'heure plus tard.

    La plaisanterie est désormais de très mauvais goût...

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