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    Cette après-midi-là, il fait étrangement beau sur la capitale.

    Étrangement, parce qu’en temps normal, les jours d’automne sont plus de types  gris et pluvieux, que bleus et ensoleillés.

     

    Mais Gérald et Zell ne vont pas se plaindre de cet agréable caprice de Dame nature, puisqu’au aujourd’hui ils rejoignent leur lieu de répétition a pieds, peu après avoir quitté le studio d’enregistrement.

    Une occasion en or pour discuter de tout et de rien, en petit comité, sans risquer que trop d’oreilles ne soient conviées a la fête.

      

    — Qu’est-ce que tu penses de l’absence de piano, toi ? Fait sans attendre Zell à son camarade.

    — Ça peut aller. Pourquoi ça ? lui répond celui-ci avec suspicion.

    — Parce que moi je trouve que c’est moins bien. Qu’il manque quelque chose. Mais apparemment je suis le seul à le penser...

    — Nan, t’es pas le seul. Mais les autres veulent pas d’un autre pianiste.

    — Alors, rappelez-le ? Erwan...

    — Oulà. Ça, ça va pas être possible.

    — Pourquoi ? Est-ce qu’il vous fait la gueule ? Est-ce qu’il vous déteste ?

    — S’il nous déteste, j’en sais rien. Déjà, quand il a quitté notre appart, il avait pas le sourire aux lèvres et il nous fusillait tous du regard. Et puis plus de nouvelles, il vit sa vie dans son coin et je crois bien qu’il veut plus entendre parler de nous.

    — Il était vraiment doué. Et je suis même pas certain qu’on trouverait son égal en faisant des auditions pour un autre pianiste.

    — On trouverai pas. Erwan au synthé, c’est comme Romu a la basse...

    — Sympa !

    — T’es très bon toi aussi, mais jamais tu surpasseras Romu. Ce type est un dieu, on dirait qu’il est venu au monde avec sa basse et son violon.

    — Faudrait parler a Kylian, pour Erwan. Faudrait qu'il donne son aval.

    — Non, c’est pas une bonne idée. Kyle n’est pas dans son assiette en ce moment. Et puis il s’en contre-branle d’Erwan. C’est pas lui qui voulait qu’on le vire...

    — C’est la nouvelle chanson qu’il a écrite, qui te fait penser qu’il est pas bien dans ses baskets en ce moment ? So far away...

    — Ouais.

    — Tu penses qu’il réagirait comment, toi, si je lui parle d’Erwan aujourd’hui ? 

    — Il lèverai un sourcil, te dirais « Gné », puis « Faites ce que vous voulez, je m’en fous ».

     

     

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    — Tu l’approuves si je comprends bien ! Fulmine Tania devant son petit ami qu’elle est venue retrouver chez lui aujourd’hui.

    — Je n’ai pas dit que je l’approuvais, mais juste qu’il avait bien fait de ne pas revenir avec elle, se justifie simplement, et en soupirant, celui-ci. 

    — Mais pourquoi est-ce qu’il fait ça ce con ?? Parce qu’il l’aime, OK ! Il l’aime, mais il ne veut pas reprendre avec elle ? OK ! Mais dis-moi alors Yann, qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans sa tête de Pokémon ??

    — Il est trop gentil... Elle est venue le voir dans son centre et ça l’a ému, c’est tout... 

    — Kylian, gentil ? C’est une blague ? Ce type est un salaud, doublé d’un égoïste ! Il n’a rien de gentil, rien ! Sinon il reviendrait pas comme ça dans sa vie, juste pour lui faire du mal !

    — D’accord, Kyle est un salaud, et Vanessa une sainte.

    — Donne-moi une seule bonne raison de haïr Vanessa de la sorte Yann. Qu’est-ce qu’elle t’a fait à la fin ? Rien, il me semble !

    — Je la hais pas.

    — Menteur !

    — Je la hais pas je te dis ! Mais disons que moins je la vois et mieux je me porte. Sa tête ne me revient pas, c’est comme ça, j’y peux rien ! 

    — Tu la hais sans raison Yann, c’est petit ! Très petit ! Alors que moi, tu vois, et bien je hais Kylian, et je sais pourquoi !

    — Et bien tu es quelqu’un de bien, tandis que je ne suis qu’un salaud. C’est ça que tu voulais entendre ?

    — Tu me soûles, à plus! 

    — C’est ça, c’est ça. Va grogner loin de moi et reviens quand tu seras calmée ! Merci.

     

     

     

     

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    Loin de cette ambiance des plus orageuses s’échoue doucement l’une des plus déprimantes jamais encore propagée : celle qui plane désormais dans l’appartement de Vanessa, depuis que celle-ci a brusquement décidé de se repasser en boucle tous les morceaux du groupe Apologize. Et surtout le dernier qui vient de sortir dans les bacs. So Far Away.

     

    C’est bien celle qu’il lui fredonnait à l’oreille ce soir-là.

    Elle reconnaitrait ces paroles entre mille.

     

    Il l’a donc finalement couchée sur papier, pour ensuite la chanter devant tous.

    Pour elle. Pour lui. Pour eux. Voir sans doute pour conclure leur histoire.

     

    Mais une seule question continue de turlupiner la jeune femme.

    Une seule et unique question, à la fois douloureuse et insupportable.

    Parce qu’inexplicable...

     

    « Pourquoi ? »

     

    Pourquoi est-il revenu ce soir-là. Lui parler. Lui susurrer a l’oreille. Lui tenir tendrement les hanches. La garder au chaud dans ses bras. Lui fredonner des mots étranges. Puis d’amour. Avant de disparaître dans l’ascenseur, malgré ses appels...

     

    « Mais pourquoi donc était-il assu cinglé et lunatique ?!? »

     

     

     

    *      *

    *

     

     

    — Kylian ? Je peux te parler deux minutes ?

    — Tu veux me faire une déclaration d’amour Zébulon ? C’est pour ça que tu attends qu’on soit seuls dans le local ?

    — Zut, démasqué !

    — Quand tu veux, et où tu veux. Mais tu fournis les capotes. 

    — Qu’est-ce que tu penses de l’absence du synthé Kyle ? 

    — Gné ? .. Hmmm... Et qu’est-ce que tu attends comme réponse à cette question, Zell ?

    — La vérité Kyle, ce que tu penserais si... 

    — Je m’en fous. Faites comme vous voulez. 

    — Incroyable... Gérald est devin.

    — Gné ?

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