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    — Kylian ? Appelle amicalement Nikole en pénétrant dans la chambre du concerné : elle n’apprécie pas que les petits nouveaux restent cloitrés dans leurs quartiers pendant les premiers temps de leurs cures.

     

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    — Ouais... lui grommelle en réponse son interlocuteur et jeune patient, sans relever la tête du bureau où elle repose.

    — Tu ne descends pas manger un morceau ? Boire ? Prendre l’air ?

    — Non merci.. J’me sens pas bien là. 

    — Je sais, et c’est normal.

    — J’en doute pas, mais j’en chie... n’hésite pas à avouer Kylian dans un soupir de lassitude qui en dit long sur ses éventuelles pensées.

    — Non Kylian, tu ne vas pas abandonner. N’est-ce pas ? Se presse de le contredire son interlocutrice, avant même qu'il ne puisse avoir l’idée de lui annoncer un projet des plus absurdes.

    — Ouais, ouais. J’vais pas abandonner.. Promis. J’crèverai là, comme un cleb. 

    — Viens avec moi à l’infirmerie, je vais te donner un calmant.

    — Nan. J’veux pas me shooter aux calmants. Faut que je fasse quelque chose de mes dix doigts. Ou je vais péter une durite.. Y’a quoi déjà dans la salle de sport ? 

    — Tu n’es pas en état de faire du sport Kylian. Plus tard, oui, mais pas pour le moment. 

    — Gné ? Tu dis n'imp' toubib...

    — Nicky.

    — Nicky. Bref j’pète la forme, Nicky.

    — Non. Tu es en début de cure, alors physiquement tu ne pètes pas la forme. Bien au contraire. Et si tu en veux la preuve, regarde-toi dans le miroir. Tu ferait peur à un fantôme !

    — OK, cool.. Alors tu me conseilles quoi.. Nicky ?

    — De descendre. De prendre l’air.

    — J’suis pas un papy non plus.

    — Papy Kylian ? Ça sonne bien, ne peut s’empêcher de sourire la jeune femme, en lui prenant une main pour l’inciter à se relever, — allez, viens. On descend ensemble à l’infirmerie, et ensuite on va arroser les fleurs du jardin, ensemble. Ça roule ?

    — Nan, rechigne aussitôt le boudeur en récupérant sa main d’un geste vif, — je veux aller a la salle de sport !! Vous avez des sacs de sable ? Parce que j’ai envie de cogner.

    — Oui, on en a, soupire alors la jeune femme avec dépit — mais promets-moi que tu ne forceras pas. Parce que dans ton état, tu as bien 90 % de chances de me faire un malaise et de finir la journée a l’infirmerie.

    — Ça sera cool. Comme ça, je me ferai dorloter par notre jolie toubib.

     

    Heureusement qu’il est de dos, en train d’enfiler un tee-shirt, lorsqu’il prononce cette phrase des plus anodines. Parce que son interlocutrice se sent déjà rougir de gêne, avant de se retourner rapidement, face a la porte, pour ne plus avoir a constater le dos musclé de celui qui n’est censé être que son patient.

     

    — Prêt ? On y va ! le presse-t-elle sans attendre, pour changer de sujet et disparaître avec lui dans les couloirs du centre, en direction de l’infirmerie, puis de la salle de sport.

     

     

     

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    — C’est gentil de rester avec moi, remercie amicalement Kylian entre deux coups de poings lancés sur l’un des sacs de sable de leur salle de sport, — mais si tu as des trucs a...

    — Non, ça va. J’ai rien de particulier à faire pour le moment. 

    — Pourquoi moi ? N’hésite-t-il plus a demander avec sérieux, — je veux dire que.. Qu’on est nombreux à avoir besoin d’aide ici, et donc les autres pourraient me jalouser de te voir tout le temps avec moi. 

    — Les autres ? Les as-tu bien regardés Kylian ?

    — Comment ça ?

    — Les autres, comme tu dis, ils sont presque tous en haut, dans la salle de repos. En train d’enchainer les paquets de cigarettes, devant la télévision.

    — Et ? Je saisis pas...

    — Je veux dire qu’il y’en a peu qui ont déjà eu le déclic pour s’en sortir.

    — Et moi, je l’ai alors, ce déclic ?

    — Je pense, oui.

    — Dis plutôt que tu adores ma compagnie ! Coquine ! 

    — Tsss, mais quel idiot ! Qui devrait faire une pause d’ailleurs.

    — Nan, ça va là. Plus je lui défonce la tronche, à cet enfoiré de sac que je viens de nommer Erwan, et plus ça va.

    — Si tu le dis. 

    — Hey, il est bizarre Jakob, je trouve. Non ? Et puis il met de ces droites. Ça fout les jetons.

    — C’est un boxeur professionnel. Enfin, c’était. 

    — Et ça fait longtemps qu’il est là ? Il parle pas beaucoup lors des réunions. Je crois que je sais rien de lui. 

    — Six mois. Mais c’est un type bien. Si tu dois te faire un ami ici, autant que ce soit lui. À la place de Matthias ou Jeyne, par exemple. 

    — Matthias ? Aucun risque. Il me gonfle. Jeyne par contre, elle a l’air sympa.

    — Jeyne est très gentille, oui. Bien qu’un petit peu trop sous l’influence de Matt » à mon goût.

    — Tu veux dire que Matt » la tire vers le fond, avec lui ?

    — Matt » ne croit plus en rien ni en personne. Et il prend, en effet, plaisir à entrainer les nouveaux dans sa chute. 

    — Je sais. J’ai déjà eu un petit aperçu de sa vision de la vie, fini par soupirer Kylian en s’essuyant le front d’une main tremblante. Geste qui fait immédiatement réagir la jeune femme assise derrière lui — viens t’asseoir. Ou dans moins de cinq minutes tu vas me faire un malaise. 

    — Ouais, ouais, se presse d’obtempérer Kylian en s’asseyant aux côtés de son interlocutrice — c’est horrible, j’ai jamais été aussi misérable. On dirait une loque..

    — Pourquoi es-tu entré ici ? Quel a été ton déclic ? Vu que tu ne me l’as pas dit aux réunions, je me permets de te le demander à part. 

    — Pour ma famille. Et mes amis.

    — Ton groupe ?

    — Voilà. Vu que ce sont eux, mes amis... 

    — Au début, je pensais que toi aussi, tu étais là pour une femme.

    — Ah, je suis content de constater que tu ne lis pas les journaux alors !

    — Les people tu veux dire ? Eh bien petite star ! Je ne m’intéresse pas à la vie des gens sous les projecteurs. 

    — C’était une fille bien, que je ne méritais vraiment pas.

    — Ton ex ?

    — Bah oui, pas le pape !

    — Je pense que tu mérites beaucoup plus que tu ne le penses. Et que tu devrais aller prendre une douche, parce que tu pues.

    — Heeeey ! Comment tu me dis ça toi !!

    — Quoi ? Oui, je sais, je suis franche !

     

     

     

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    — Merde, Vanessa, ça suffit maintenant !! braille Tania devant sa meilleure amie qu’elle est venue voir à l’improviste aujourd’hui — tu m’avais promis que tu arrêtais ça ! Tu m’avais promis !

    En effet, la jeune chanteuse avait bel et bien promis à son interlocutrice qu’elle cesserait de boire. Que l’alcool n’était pas une solution et qu’elle ne s’y réfugierait plus jamais.

     

    — J’suis désolée, s’excuse-t-elle alors sans franchise, en haussant les épaules — j’fais que des conneries, je sais.

    — T’es complètement bourrée. Putain tu m’énerves ! Mais regarde-toi ! Va te voir dans le miroir ! 

    — Je sais, j’ai une sale gueule et je fais rien de bien. Je sais. Merci de me le rappeler. 

    — En plus, quand l’autre va rappliquer, tu crois qu’il va comprendre que tu sois défoncée en plein aprèm ??

    — L’autre il s’appelle Erwan...

    — Ouais, Erwan. Si tu veux. On s’est comprises de toute manière !

    — Il vient pas ce soir, et Tiph a emmenagé ce matin dans son appart, alors j’ai rien à craindre... J’peux me défoncer en paix, voir me bu...

     Ta gueule Vanessa. Ta gueule ! Parce que là tu vas t’en prendre une ! 

    — Ai... Aide-moi alors... finit par sangloter l’enguirlandée d’une voix tremblotante, — dis-moi ce que je dois faire... 

    — Tu connais déjà mon avis que le sujet. Il faut que tu rompes avec l’autre ! 

    — Mais comment ?? Et pourquoi ?? Il est parfait, adorable, gentil, présent.. Il a tout pour lui et... enfin.. Quel prétexte je vais bien pou...

    — Tu lui dis simplement que tu ne sais plus trop où tu en es et que tu as besoin de solitude. Il comprendra.

    — Et pourquoi au fait...? Pour un salaud qui a déjà oublié mon existence... ?

    — Non. Mais plutôt parce que tu n’es pas amoureuse de lui et que plus le temps passe et plus tu as honte d’être a ses côtés. Mais si tu veux te mettre à parler de Kyle, alors...

    — Ma plus grande honte actuellement, c’est surtout d’aimer ce salaud, alors que lui, je suis certaine qu’il en a rien a foutre de ma gueule.

    — En tout cas une chose est sûre, c’est que là il est célibataire et qu’il est en train de se faire chier dans un centre de désintoxication.

    — Ça lui fera les pieds, tient...

    — Et il aura plein de temps libre pour réfléchir et penser a toi.

    — De toutes les manières je ne peux pas aller vers lui. Pas après tout ça. Je vais quand même pas m’abaisser a revenir vers ce...

    —. Vers ce type que tu aimes! 

    — Haut les mains, c’est la police, menace soudain et d’un air amusé un Yann qui fait brusquement irruption dans la pièce par la porte principale. Il est venu chercher sa petite amie qui campe ici depuis maintenant une demi-heure. 

    — J’en ai pour cinq minutes Yann, lui fait sans attendre sa belle dès qu’elle le remarque — si tu peux m’attendre dehors, merci.

    — Cinq minutes fois combien ? Vingt ? Cent ?

    — Non. Vraiment, cinq minutes. Promis. Allez file !

    — Non mais t’es lourde. C’est plus l’été maintenant et j’ai pas envie d’attendre deux heures dehors. Alors go ! 

    — Vas-y Tania, intervient alors Vanessa pour encourager sa meilleure amie à décamper avec son homme, — on s’appèle plus tard et on se voit demain de toutes. 

    — D’accord, mais alors... commence à prévenir Tania avec sérieux, — tu vas faire ce qu’on a dit !

    — Je vais essayer....

    — Non, tu le fais Vanessa. Vraiment ! Dès ce soir. Car le plus tôt sera le mieux.

    — OK. OK...

    — Goooooooooooooo, appelle à nouveau Yann en attrapant la main de sa compagne pour la ramener de force vers la sortie de cet appartement où elle a déjà passé trop de temps. Ça suffit les discussions sans fin entre filles. Surtout qu’il connait très bien leurs sujets de conversations a toutes les deux : Erwan. Kylian. Erwan. Kylian...

    Agacé ? Non. Disons juste qu’il préférerait éviter que la blondinette revienne dans la vie du chanteur de son groupe. Parce qu’il considère qu’elle a déjà suffisamment semé la zizanie parmi les siens.

     

     

     

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    — Merci infiniment Tiph'.. Merci.. Merci... répète sans cesse Hanz malgré une gorge qui se noue de plus en plus au fil des secondes. En effet, son interlocutrice et meilleure amie est enfin venue le voir. Alors qu’il se plaisait à s’isoler dans sa maison, loin de tout. Loin du monde. Ne désirant plus rien, ni personne.

    — C’est normal mon grand. Je me fais du souci pour toi.

     

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    — Tu es forte toi.. Tellement forte.. Donne-moi ton secret. Donne-le-moi !!

    — Tu piques Hanz. Qu’est-ce qu’il y’a ? Ton rasoir s’est mis en grève ou quoi ?

    — Très drôle, espèce de moqueuse, se renfrogne le concerné en se reculant de celle qu’il tenait amicalement dans ses bras.

     

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    — Est-ce que je me laisse aller, moi ? Non, il me semble. Alors tu vas désormais en faire autant, toi aussi. 

    — Toi tu es radieuse, et moi je suis à gerber, moche et puant. On joue pas dans la même catégorie, c’est clair. Le lâche et la courageuse...

    — Tu cherches à m’impressionner avec ton discours de dépressif ? Que je me mette à pleurer avec toi, avant de te proposer de me mettre à picoler à tes côtés ?

    — J’ai un peu bu, c’est vrai..

    — Un peu ? Humm, moi j’aurai dit énormément, vu à quel point tu pues de la gueule !

    — Merci, c’est sympa...

    — Tu veux des nouvelles d’Elo au fait ?

    — Non...

    — Et pourquoi ça ?

    — Parce que je m’en fous. Ça te va comme réponse ? Commence a s’agacer Hanz avec une soudaine envie s’enfermer, seul, dans une pièce isolée.

    — Parce que le monde s’est arrêté de tourner ? Parce que tu es trop lâche pour rebondir ?

    — Oui. Parce que je n’ai pas ta force. Parce que moi, je ne sais pas vivre sans lui et avec son souvenir. À la différence de toi, qui t’es apparemment très bien remise de son départ.. 

    — Tu devrais te taire maintenant Hanz. Parce qu’entre nous deux, celui qui a le plus perdu, ce n’est pas toi. Tu veux que je t’agite ma bague devant les yeux peut-être ?

    — Tu la portes encore ?

    — Évidemment. Et c’est pour elle que je me bats ! Parce que Kurt aurait les boules de me voir pleine de poils et avachie entre deux canettes de bière !

    — J’avoue... Bravo, tu as le chic pour me rappeler que je ne suis qu’une merde...

    — Ouais, si tu veux. Mais la merde que tu es, et bien moi je l’aime. Et donc je vais te donner ma nouvelle adresse, pour que tu viennes toquer à ma porte dès que tu te sens mal ou seul. Parce qu’on est ensemble dans cette bataille.

    — Ouais.. Bon.. OK.. Merci.. Encore une fois, merci... Pfff, je ne mérite même pas ton amitié..

    — Ça, ce n’est qu’à moi d’en juger, lui rappelle la jeune femme en finissant d’inscrire l’adresse de son nouvel appartement sur un post-it jaune, avant de revenir l’agiter sous le nez de son vieil ami — voilà mon grand. Et si tu dois m’appeler, tu as déjà mon portable.

    — Tu repars tout de suite ? Ou tu restes un peu.. ?

    — Je serai bien restée, mais je suis attendue là. Je suis désolée. Demain par contre, si tu veux tu peux passer à l’appart.

    — Attendue.. ? Par... un homme ? 

    — Hmm, par un « ami » j’aurai plutôt dit. Parce qu’aujourd’hui je ne vois plus d’« hommes » nulle part.

    — Laisse-moi deviner... Peter ?

    — Je vais y aller. Parce que dans cinq minutes, tu vas me commencer une crise d’amitié.

    — Peter ?

    — A demain Hanz. Je compte sur toi ! Et si tu me poses un lapin, je viendrai t’arracher les deux yeux pour m’en faire des boucles d’oreilles, je te préviens.

    — Ouais, ouais, c’est ça. À demain.

     

    Elle est déjà dehors lorsqu’il finit de grogner ces derniers mots et cela l’horripile au plus haut point.

     

    Ce type.. 

    Ce Peter.

     

    Dieu qu’il le hait.

    Et une chose est sûre, c’est qu’il ne se contentera pas de rester à le haïr dans l’ombre.

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