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    Swan -- Secret Garden ♪

     

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    — Heeep, leur fait soudain une voix, tandis qu’ils traversent un vieux terrain désaffecté.

    Des pas se rapprochent, au pas de course. Dans un même mouvement, les jumeaux se retournent pour faire face à un éventuel agresseur. Il fallait s’y attendre. Se promener ici en pleine nuit ne pouvait être qu’une simple provocation.

    C’est un homme, seul. Plutôt baraqué, assez balafré. On peut rapidement comprendre, en analysant sa carrure musclée et abîmée, que les combats effrénés rythment sa petite vie de voyou mal éduqué. Il tient une arme blanche. Un couteau, plus précisément. Assez long, et sans doute des plus aiguisés. Les deux frères se doivent donc d’être sur leurs gardes. Un moment d’inattention, et ils pourraient bien se retrouver saignés.

    — Envoyez tout ce que vous avez, les menace sans attendre leur agresseur, — si vous souhaitez repartir d’ici entier, évidemment...

    — Et cent balles et un mars aussi ? ironise aussitôt Kurt en pouffant de rire — tu t'es crû un 24 décembre, mon mignon ?

    Il a gagné. Sa provocation idiote aura un prix. L’homme dégaine maintenant une arme à feu. La situation semble se corser pour les Cobain qui grimacent maintenant. Celle-là, ils ne l’avaient pas prévue. Zut !

    — Tiens, c’est tout ce que j’ai, fait alors Hanz en tendant droit devant lui son porte-feuille en cuir noir ; un cadeau de son ex-petite amie. Un des derniers souvenirs qu’il possède encore d’elle.

    — Et l’autre, à côté, fait péter aussi ! Grogne l’agresseur en agitant son arme, — et magne-toi, j’ai pas que ça a foutre !

    — Va chier ! J’ai rien pour toi, continue de s’obstiner Kurt. Non, mais, pour qui est-ce qu’il se prend ce petit malfrat de pacotille ? Il ne sait pas à qui il a affaire...

    « Pan »

    Cette arme est un silencieux. Kurt va tomber à genoux, à cause d’une balle reçue brusquement dans la cuisse, sans que personne en ville n’ait strictement rien entendu. À part son frère ici présent, bien entendu.

    — Merde, mais arrêtez ! Tente de demander, prévenir, menacer, et balbutier, Hanz, en regardant son frère grimacer de haine et douleur.

    L’ennemi s’avance, non sans grogner au dernier Cobain encore debout — toi, tu bouges, et c’est pas dans la cuisse que tu la reçois, mais dans la tête. Capiche ?

    Pour seule réponse, Hanz hoche la tête. C’est un homme docile et très intelligent. Il n’est pas aussi impétueux que son frère et sait juger les dangers, quand il y’en a.

    — Fais péter, j’ai dit, menace a nouveau l’agresseur en attrapant avec violence Kurt par le col, — je ne me répéterai pas...

    — Va te faire enc... tente de commencer sa victime, avec une haine infinie dans les yeux.

    Tente, parce qu’il se fait interrompre par un violent coup de couteau dans l’abdomen. Aussitôt après, il hurle et ramène ses mains vers son ventre pour constater l’arme blanche encore plantée dans son estomac. Merde ! Il saigne beaucoup. Et il souffre. Il s’immobilise alors, à genoux, encore au sol. Pour ne pas se provoquer une hémorragie interne. Il doit faire le moins de mouvements brusques possible. Et surtout, il doit conserver l’arme à sa place. S’il tente de l’arracher, il en mourra. Il le sait bien. Il fait des études de médecine tout de même.

    Hanz reste calme devant ce spectacle. Toujours droit et impassible, il fixe simplement le malfrat dépouiller son frère de ce qu’il a de plus précieux, avant de filer a l’Anglaise dans l’obscurité de la nuit.

    Et ce n’est qu’une fois l’agresseur complètement disparu, qu’il s’abaisse enfin pour se mettre à la hauteur de son jumeau ; qui est en train de souffrir le martyre, lui, au sol.

    — Ça va ?

    — Ça pourrait aller mieux. Putain d’enfoiré ! Je le retrouverai ce con. Et il va me rendre ce qu’il m’a volé !!

    Ce type est incroyable. Hanz en éclaterait presque de rire : se vidant de son sang et agonisant lentement, il ne pense qu’a la honte qu’il a l’impression d’avoir subit. Kurt est fièr. Trop fièr. Cela pourrait bien le perdre, un jour.

    — T’as ton portable ? Qu’il fait justement à son frère, toujours accroupi à ses côtés.

    — Ouais.

    — Alors qu’est-ce que t’attends Ducon ? Appelle une ambulance ! Tu vois pas que je suis en train de saigner comme une truie là ?

    — Oui, oui. Désolé, reprend rapidement Hanz, en se relevant pour fouiller sa poche droite. Celle où se niche habituellement l’appareil recherché.

    — Dépêche... gémie maintenant Kurt en se forçant à conserver une respiration normale. Il a des chances de s’en sortir. Il le sait. Il suffit qu’il reste calme, respire tranquillement, et surtout, conserve le couteau dans son abdomen, en bougeant le moins possible.

    Tout de même fatigué, il finit par s’asseoir sur le sol, en s’adossant contre un cylindre industriel, posé et abandonné là, rouillant et se détériorant, en pleine nature.

    Il va se reposer ici, en attendant l’arrivée des secours. Voilà.

    Tiens, son frère revient enfin vers lui. Pour s’accroupir à nouveau, en lui souriant affectueusement.

    — Ça va aller Kurt, ne t’en fais pas. Tu ne souffriras plus.

    — Laisse ça, lui grogne-t-il en repoussant sa main, lorsque celle-ci voulait se poser sur le couteau qu’il maintient fermement dans son estomac — je. Je ne dois pas le retirer.

    — Si, Kurt. Si.

    — Va te faire ! Je sais ce que...

    D’un geste vif et sec, Hanz revient à la charge pour lui arracher brusquement l’arme et la tenir ensuite en l’air. Du sang en dégouline. Rouge vif. Du sang. Le même que celui qui se met maintenant à s’échapper avec abondance de la plaie de son frère jumeau.

    Il l’a tué. Rien qu’avec ce geste, il l’a tué.

    Rien qu’à cause de ce geste, son propre frère n’a désormais plus aucune chance de s’en sortir.

    Les larmes lui montent rapidement aux yeux.

    Il l’a tué. C’est certain : il ne bouge plus, et ses yeux sont déjà fermés. Il baigne dans une mare de sang incroyable et ne semble même plus souffrir. Une larme perle sur sa joue. Il a dû avoir le temps de comprendre qui est celui qui lui a porté le coup de grâce. Il ne doit pas comprendre. Il ne doit pas vouloir comprendre.

    — Tu me fais rire... trouve-t-il soudain la force de laisser échapper d’une voix faible.

    — P.. Pardon...? se retient s’exploser en sanglots Hanz, devant le spectacle ignoble de son acte insensé.

    — Ouais... P.. Par... parce que je sais pourquoi, tu.. Tu.. Tu..

    — N.. Non. Tu te trompes, tente de nier Hanz, sans entendre la suite de l’accusation du mourant, — je... Je..

    — Tu n’auras jamais ma femme Hanz... Jamais....

     

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    Et c’est sur ces dernières paroles que l’impétueux et inébranlable Kurt Cobain ferme les yeux.

    Définitivement.

     

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    Il est un peu tard désormais pour appeler les secours et le jumeau survivant en a bien conscience. Cependant, son geste se réalise dans un automatisme, sans qu’il ne le réalise vraiment.

     

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    — Oui, c’est ça, l’ancienne station Shell, rue Sterlitz. On a besoin d’aide... Je vous en prie...

     

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    Jamais tu n’oublieras ni te pardonneras...

     

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