• 090

     

     

     

    *

     

     

     

    Le lendemain, vers la fin de journée, la conséquence directe de la bonne action d’Erwan se fait rapidement sentir, ou plutôt entendre, dans la chambre de son collègue Yann. 

    — Hiyaaaah, mais j’ai pas rêvé lààà ??? piaille la petite amie de celui-ci, en désignant du doigt la porte de communication avec la salle principale — Yaannn!! EXPLIQUE-MOI!! EXPLIQUE-MOI!!! 

    — Elle a des problèmes familiaux et Erwan lui a proposé de.. 

    — De quoiiii ?? Des problèmes familiaux ? C'est la fête quoi !! On a des problèmes alors on vient crécher chez son ex !! Yeaaah !! Trop de la balle !!

     

    090

     

    — Raaaaaahhh, je le savais, je le savais que tu partirais en couilles!! 

    — Et y'a de quoi!!! Non, mais elle s'est cru où cette folle??? Si elle croit que j'ai pas compris son petit manège pour se rapprocher de toi!! Je vais la tuer!! Je vais la tuer!!! 

    — Mes oreilles.. Au secours!! Et puis d'abord c'est l'idée d'Erwan... C'est lui qui lui a proposé!! Et si ça peut te rassurer, je lui adresse presque plus la parole moi, à Lisa... 

    — Encore heureux!! Mais je vais quand même la tuer!! Je vais quand même la tuerrr!!

    — T'es pas belle quand tu fais la gueule, pfiou!

    — J'ai compris son petit jeu!! J'ai compris!! Elle se sert d'Erwan pour se rapprocher de toi!! Mais je la laisserai pas faire!! Elle finira dans le caniveau, a nourrir les rats, cette sale conne!!! 

    — Tu n'as rien à craindre de Lisa, je te le répète!! Je me contrefous de sa vie comme de l'an quarante et jamais elle ne pourra rivaliser avec ta tête de laide hystérique !! T'es unique Tania, y'en a pas une qui peut s'amochir en dix secondes comme toi !! Je t'aime !! 

    — Humpfff...M'en fous, mais je la tuerai quand même si elle ose poser, ne serait-ce qu'un seul regard, sur toi!!

     

     

     

    *

     

     

     

    — C'est moi ou ça braille dans la chambre de Yann ? Se demande à haute voix Lisa, en direction de son unique interlocuteur, Erwan. Ils sont tous les deux dans la salle à manger, ont quelques mètres de la chambre d'un couple qui beugle avec frénésie. 

    — C'est pas toi, la rassure aussitôt Erwan, dans un soupir et en haussant les épaules, — je suppose qu'ils parlent de toi. 

    — Oui, c'est sûr. Tu as vu la tête de Tania quand elle est arrivée ?

    — Elle a été surprise, c'est clair.

    — À sa place, j'aurais réagi de la même façon... Quoique sa position n'est pas à plaindre, à elle...

    — Je te coupe, excuse-moi, mais est-ce que tu as appelé tes parents aujourd'hui ? 

    — Oui Erwan.. Tout d'abord, je suis tombée sur mon beau-père en appelant sur le fixe. Il m'a raccroché au nez dès qu'il a entendu ma voix.

    — Enfoiré.

    — Puis j'ai appelé sur le portable de ma mère.. Et là...

    — Oui ?

    — Elle a décroché, laissé un gros blanc s'installer, avant de raccrocher comme si de rien était.

    — Elle a peur de se mettre son mec à dos si je comprends bien ? Alors elle suit aveuglément ses décisions.

    — Voilà, exactement. Elle a été longtemps toute seule, après la mort de mon père, et elle l'a très mal vécu. Alors maintenant qu'elle est recasée, remariée, et presque comblée..

    — Elle fait tout son possible pour préserver l'harmonie de son ménage, en se disant que désormais tu es une grande fille et que tu sauras voler de tes propres ailes.

    — Ouais.. C'est sûrement ce qu'elle se dit. Mais elle est quand même dégueulasse, et je m'en souviendrai !

    — Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?

    — J'en sais rien... Bon déjà, je vais pas squatter éternellement, ne t'inquiètes pas ! 

    — Je ne m'inquiète pas. Tu peux rester ici le temps que tu veux. 

    — Yann et Tania vont péter un gros câble.

    — Non, avec le temps ils s'y feront. Enfin, si tu ne fais rien de compromettant avec Yann, bien entendu... 

    — Qu'est-ce que tu insinues ? Tsss ! Non Erwan. Tu te trompes sur mon compte. J'ai changé maintenant et je ne m'intéresse plus du tout à Yann.

    — En voilà une nouvelle qu'elle est bonne !

    — C'est un nul Yann. Avec le recul, je finis par me demander ce que j'ai bien pu finir par lui trouver !

    — Il va falloir qu'on te trouve un petit boulot. Je pourrai me renseigner pour essayer de te dégotter un stage au studio. Ça te dirait ? Un stage de découverte et tout, par exemple maquilleuse, styliste.. 

    — Yann c'est un nul, mais toi t'es génial par contre ! On te l'a déjà dit ?

    — Ouais, tout le temps. C'est d'ailleurs à cause de ça que j'ai du mal à me chausser le matin !

    — Et si tu continues d'être aussi excellent, tu sais que je vais vraiment finir par tomber amoureuse de toi ??

    — Aucune chance poupée, j'suis un dur, un roc moi!! Je succombe jamais à personne!!

    À part à elle... Bien entendu.

     

     

     

    *

     

     

     

    Quelques heures plus tard, et après avoir avalé un copieux diner avec leur nouvelle colocataire, les trois Apologize finissent de regarder un match de football américain, avant de se décider a rejoindre leurs quartiers respectifs. 

    — Elle va rester combien de temps? Demande soudain Gérald à ses compagnons — c’est pas que j'ai quelque chose contre elle finalement, mais bon... Ça reste une fille! 

    — Et ? Manque de s'esclaffer Erwan, amusé par l'étrange pudeur du rouquin, — tu te sens tout chose devant elle, c'est ça ?

    — Nawak, se défend immédiatement le batteur vexé, — mais bon, les filles, les filles... Les filles, ça squatte trois heures la salle de bain!! Tu.. Tu peux me dire ce qu'elle fait dedans depuis... eeeuh...

    — Quinze minutes, le complète rapidement Yann dans un soupir — elle doit s'épiler, je suppose...

    — Ouais.. Beuurrrkkk, reprend Gérald en grimaçant de dégoût.

    — Bah quoi, c'est naturel l'épilation, lui rappelé sagement Erwan en haussant les épaules de dépit, — tu te rases bien la barbe tous les jours toi...

    — Ouais, la barbe OK.. Mais moi je me rase pas la teub ! 

    — Hola, parle pas de choses comme ça avant qu'on aille se coucher Gégé!! se paralyse d'effroi Yann en se représentant ce que pourrait être l'épilation des parties intimes féminines. 

    — Tain', vous êtes vraiment des gamins, ne manque pas de faire Erwan, blasé devant cet âge mental qui n'a pas dépassé les huit ans. Et encore. 

    — Erwan il en pince pour Lisa, Erwan il en pince pour Lisa, Erwan il en pince pour Lisa, souffle avec ironie Gérald en donnant un coup de coude amical au concerné.

    — Trop pas, le contredit immédiatement celui-ci en lui rendant son coup, — je la trouve sympa oui. Elle est marrante et j'aime bien discuter avec. Mais ça s'arrête là. 

    — Elle est sympa Lisa, mais elle déteste perdre, informe tout bas Yann, pour éviter que la concernée ne l'entende de la salle de bain, qui n'est qu'à quelques mètres seulement.

    — Tu lui as pardonné, toi ? N'attends pas pour lui demander Erwan, avec une suspicion flagrante.

    — Ouais. Avec le recul, je peux lui pardonner, parce que de toute manière je me préparais à révéler toute la vérité. C'était très lourd de le cacher à tout le monde, alors...

    — Moi, avec le recul, je sais plus quoi penser, avoue Gérald avec sincérité, — je sais pas si je dois haïr Lisa, ou encore Romu, qui a pété un câble bêtement, en nous foutant dans la merde...

    — Et si on arrêtait de remuer le passé ? Propose brusquement Erwan — parce que c'est pas comme ça qu'on avance les gars. Dans la vie, on trace, on se casse la gueule, on se relève, puis on trace de nouveau. Mais on ne regarde jamais en arrière ! Sinon c'est la déprime immédiate, la rancoeur, la colère, les regrets... 

    — J'approuve, Erwan tu es notre maître a tous, rit doucement Yann en se relevant du canapé, — et moi je vous dis bonne nuit, parce que je suis mort. Alors à demain !

    — ♫ À demain, ♫ boulet ♫ boulet ♫ bouleeeeet ♫ chantonne amicalement Gérald, avant de se lever a son tour pour l'imiter.

    Erwan fait de même quelques secondes plus tard.

     

     

     

    *

     

     

     

    Au même moment, dans un autre appartement et à quelques kilomètres de là, Vanessa s'impatiente devant la salle de bain qu'occupe son petit ami depuis maintenant plus d'une demi-heure.

     

    — Qu'est-ce que tu fiches Kyle ? Tu te maquilles ou quoi ? Le taquine-t-elle alors en trépignant sur place.

    — J'arrive dans cinq minutes! lui fait son interlocuteur en réponse, pour la tout juste millième fois de la soirée. 

    — Ça va être mort pour le restau, tu as vu l'heure ?! Et faut encore que je m'habille..

    — Bah, tu sais déjà ce que tu vas mettre, non ?

    — Non, justement ! 

    — Oh, seigneur!! fait mine de s'effrayer Kylian en surgissant brusquement hors de la salle d'eau, — dans ce cas-là, c'est bel et bien mort le restau ! 

    — Non. Je vais me dépêcher et dans dix minutes je suis prête !

    — Naaaan ! On se fait une soirée Sexe, Sexe, & Sexe, a la place ! Ça te dit pas ? lui susurre-t-il alors avec gourmandise, avant de lui fondre dessus pour l'enlacer et s'emparer de ses lèvres. 

    — Hmmm.. Si tu veux... lui murmure-t-elle simplement en réponse, entre deux baisers passionnés.

     

    Ce soir encore, il s'est drogué. Elle en est désormais certaine.

    Il y'a quelques jours, elle a fait de nombreuses recherches.

    Elle s'est renseignée sur les diverses drogues et sur leurs effets sur l'être humain, pour enfin, réussir à n'en tirer qu'une seule et unique conclusion.

      

    Son Kylian est soit cocaïnomane... Soit Héroïnonomane.

    Car oui. Il s'en va sniffer. Plusieurs fois par jour.

    Et plus particulièrement quand il commence à devenir aigri, stressé, paranoïaque et anxieux.

    Tous les symptômes sont là et aucun ne manque à l'appel.

    Kylian Gutter est complètement accro à une drogue dure et elle ne trouve aucun moyen de l'en sortir.

     

    Et puis que pourrait-elle faire, honnêtement, au jour aujourd'hui ?

    Le prendre entre quatre yeux et lui révéler ce qu'elle a découvert ?

    Il serait furieux. Vraiment furieux.

    Et ensuite ? Elle lui proposerait d'aller en cure de désintoxication ?

    Il serait fou de rage. Vraiment fou de rage.

    Et puis il refuserait. Bien évidemment.

     

    Kylian n'est pas homme à se laisser mener par le bout du nez.

    « — fais ci, fais ça, il faut que tu ailles en cure ! »

     

     

    *

     

     

    Réfléchissant, Vanessa songe que le seul moyen de sauver sa moitié, discrètement et intelligemment c'est de l'empêcher de se procurer sa dope. 

    Mais comment ? Niveau finances, Kylian gagne désormais assez bien sa vie. Il peut donc se procurer toute la drogue qu'il veut.

    Niveau fournisseur ? Cet enfoiré de Franz. Bien évidemment.

    Ce salopard qui doit lui faire des prix d'ami, accompagnés de sourires hypocrites pour l’entraîner le plus vite possible sur le sentier de la mort. Dieu que Vanessa le méprise, ce sale métisse. Plus malsain et faux-cul que lui, on ne faisait plus..

    Mais sans lui pour le fournir, Kylian se retrouverait le bec dans l'eau. Privé de son grand ami, il ne saurait alors plus comment se procurer l'objet de sa perte...

    Puis, doucement, mais sûrement, il finirait peut-être par s'en sortir. 

    « 089091 »