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     — Je ne suis pas amoureuse de Kurt ! rétorque Anja en se dirigeant vers une chaise, avec un roman à la main. Enfin.. Je ne le suis plus, disons...

     — C’est ton ex alors... soupire Tiphanie. Je comprends.. Tu l’aimais énormément et tu as du mal à l’imaginer avec une autre, c’est tout à fait compréhensible... 

     — C’est plus qu’un ex Tif... Enfin, c’était. Parce que maintenant je veux plus le voir. 

     — Tu veux m’expliquer un peu tout ça?.. Si tu en as envie bien sûr... Parce que maintenant j’ai du mal à le cerner, et je me demande ce qu’il a pu te faire... Ça a l’air d’être un beau salaud... 

    — Salaud oui, mais il n’a pas toujours été comme ça, tu sais...

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    En fait, on se connait depuis le bac a sable avec Kurt, tout simplement parce qu’on était voisins de palier ! Petit, c’était un garçon très réservé, limite introverti. Il parlait peu et ne se dévoilait jamais. 

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     À l’école, personne ne l’aimait, parce qu’il dégageait quelque chose de bizarre aux yeux de tous. D’abord, il était loin de l’image parfaite du petit garçon tout mignon et il n’égalait en rien son frère, qui excellait dans tout. Oui, j’oubliais de te dire que Kurt a un frère jumeau, qui est tout son contraire. Chez eux, Hanz était le chouchou, le fils modèle. Kurt lui, il a toujours été, aux yeux de ses parents, le deuxième, le non désiré. Ne roulant pas sur l’or, ses parents se seraient bien contentés d’un enfant unique : Kurt était clairement de trop, et on le lui a bien souvent répété. Hanz, c’était celui qui avait tout, et Kurt ce n’était que son ombre. Même physiquement, Hanz a toujours eu une longueur d’avance, ils sont jumeaux, mais Hanz a toujours dégagé un charme de plus, qui plaisait à tous. 

    En fait, Kurt, c’était tout simplement le vilain petit canard. Le deuxième fils, le moins beau, le moins fort, le moins impressionnant. Celui dont on ne se vante pas d’être le parent en société.  

    Oui il a souffert pendant longtemps, mais moi j’étais là pour lui. On avait dit qu’on serait toujours là l’un pour l’autre, que jamais rien ne nous séparerait. Qu’on était unis comme les doigts de la main. Et un jour, il m’a même fait une promesse.

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     « C’est toi ma chérie, et ça sera toujours que toi, pour toute la vie ! » Et moi, ça, cette promesse de gosses, je l’ai retenue. Lui, par contre, il a tout oublié au fil des ans. Cette phrase, c’était vraiment des paroles en l’air à ses yeux. En grandissant, il a commencé à changer physiquement. Il est devenu de plus en plus séduisant, et arrivé au collège, il a commencé à plaire. Beaucoup de filles commençaient a lui tourner autour. Lui, il était aux anges, c’est la première fois qu’il était sous les feux des projecteurs comme ça, il surpassait presque Hanz en popularité, qui se voyait entouré de beaucoup moins de filles au fil des mois. Je m’isolais alors de plus en plus, malheureuse de le voir s’éloigner en m’oubliant, malheureuse de le voir donner son premier baiser à une blondasse qui faisait déjà du 90C dès ses douze ans, malheureuse de réaliser que je n’étais plus du tout « sa chérie ». Dans ma solitude, une amie est venue me tendre la main, on s’est vite liée toutes les deux. J’avais besoin d’une amie, et le ciel m’en a donné une. Dans ses nombreux conseils pour me réconforter, il y’avait celui-là,

    — « Tu devrais lui parler, il faut qu’il sache ce que tu éprouves pour lui. Si ça se trouve, c’est complètement réciproque et il n’ose pas faire le premier pas ! » 

     Alors je l’ai écoutée. Je suis allée timidement vers Kurt et je lui ai révélé tout ce que je ressentais pour lui. 

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     J’ai ouvert mon cœur et je lui ai tout dit.  

     Que je l’aimais, et que je l’avais toujours aimé.   

    Et devine quelle a été sa réaction? 

    Il a éclaté de rire.

     Il a ri sans interruption, pendant près de dix minutes, montre en main. Ce jour-là, j’ai cru mourir de honte.

    Plus je le regardais rire et plus mon cœur se déchirait. Pourquoi est-ce que j’avais écouté ce ridicule conseil ?

    C’était n’importe quoi... Comme si le fait de dire « je t’aime » à quelqu’un nous faisait bénéficier immédiatement de son amour éternel... J’étais abattue, et je voulais disparaitre sous terre tellement j’avais mal. Et je pense qu’il s’en est rendu compte et a réalisé l’ampleur de sa cruauté ; il s’est avancé étrangement vers moi, tout doucement, faisant ainsi chavirer mon cœur un peu plus, histoire de me rendre décidément complètement dingue..  

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     J’avais tellement mal. Je voulais qu’il dégage et s’éloigne de moi. Mais aucun mot ne voulait sortir de ma gorge plus nouée qu’un nœud de marin. J’ai monté mes bras vers ma poitrine, créant ainsi une barrière protectrice. 

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     Mais il s’en fichait et avançait doucement son visage vers le mien, avec un regard étrange, un regard qui semble se moquer et désirer. Ce regard m’a perturbée, et je l’ai laissé faire. Il m’a prise dans ses bras et m’a embrassée.

     Mais notre couple n’a malheureusement jamais été un modèle. Enfin, si on peut appeler ça un couple... Plus cocu que moi y’avait pas. Et il ne prenait aucune précaution, il m’arrivait régulièrement de le trouver devant les casiers en train d’emballer une nana. Comme ça. Tranquille.

      Pas fou. Il faisait en sorte de me faire comprendre qu’on n’était pas « officiellement » ensemble. En fait j’étais son jouet, sa poupée. Dans ses moments de solitude, il aimait bien avoir une poupée à embrasser. Une poupée à câliner. Il jouait complètement avec moi, alors que de mon côté je l’aimais à en crever. Et ce, malgré les conseils divers « il se fout d’ta gueule Kurt !! Largue-le !! » Facile à dire... Moi a l’époque, j’étais jeune, naïve, et je ne vivais que pour lui. 

    Un jour, il a voulu aller plus loin que les baisers.

    En fait, il voulait simplement se dépuceler discrètement, avec sa poupée, afin d’être apte à se montrer vaillant et fort chez les filles qu’il convoite réellement. Et moi, j’ai craqué et je me suis encore laissée faire. Sotte, idiote, naïve et cruche, je lui ai offert ma première fois. J’ai offert ma première fois a un garçon qui se fichait complètement de moi. En plus, si tu veux rire, il a été très mauvais ce soir-là. Il a eu énormément de mal à monter et j’ai frôlé le fou rire à plusieurs reprises. Frôlé uniquement... Je ne lui ai jamais fait l’affront de me moquer ouvertement de lui, moi.. 

    Puis un jour, j’ai craqué, j’ai hurlé, et je lui ai dit des choses horribles.

      Je lui ai rappelé son passé. Je lui ai rappelé qu’avant d’être la coqueluche du lycée, il n’était que le pou de la classe, hué de tous. Et qu'à ce moment-là, il n’y avait qu’une personne qui était là pour lui. Et là, au lieu de s’excuser, il m’a giflée. 

     Folle de rage, j’ai alors continué de l’attaquer. Je lui ai rappelé sa médiocrité face à l’excellence d’Hanz. Je lui ai rappelé que même ses parents en avaient assez de lui ! Je lui ai sorti tout ce que je pouvais sortir de plus horrible et cruel. Quand j’en ai eu fini, il a tourné les talons pour retourner dans le collège. Il n’a même pas pris la peine de me répondre. Je crois que je lui ai fait très mal.  

    Je l’ai regardé s’éloigner le cœur gros. Mes larmes commençaient à monter, mon cœur à se déchirer, et mon ventre à se nouer. J’ai plongé ainsi dans une profonde dépression. Plus rien n’avait d’importance à mes yeux. J’ai voulu mourir plusieurs fois, sans pouvoir aller jusqu’à l’acte final. Trop lâche pour posséder le courage des faibles. 

    Quelques semaines plus tard, l’année a pris fin et il allait changer de lycée pour passer à Victor Hugo. J’ai cru qu’il partirait comme ça, en me laissant derrière lui, sans venir me reparler, après ce jour horrible, où on s’était déchirés. Mais non, le dernier jour de l’année, il est venu me voir chez moi après les cours pour s’excuser.

    Il m’a fait le regard du chat de Shrek et j’ai craqué. Je lui ai pardonné. Il m’a serré dans ses bras, sans aucun sous-entendu. C’était magique, et j’ai alors cru qu’on s’était retrouvés.  

     Malheureusement, à la rentrée suivante, on a découvert Victor Hugo. Il a découvert Elsa, qui lui a très vite mis le grappin dessus.

    Il a découvert Dirk, qui est très vite devenu son meilleur ami. Et moi ? Encore une fois seule. J’ai tenté de revenir lui signaler mon existence, mais il m’a violemment envoyé bouler. Pire. Il s’est mis à rire de moi avec Dirk, inventant mille et une blagues pour l’amuser.

    Il voulait s’intégrer dans la bande d’Elsa, et pour ça il a trouvé un moyen de les amuser : Anja, la folle, bête, conne et frigide.

    J’ai tout eu. J’ai alors replongé dans ma dépression, refusant tout contact avec cette bande horrible.  

    Le seul qui semblait de moins en moins rire, et changeait les sujets de conversations quand ils revenaient parler de moi, c’était Dirk.   

    En fait, c’est le seul potable dans leur bande...

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    — Bref, voilà mon histoire. Kurt a changé aujourd’hui, je le sais. Il est devenu plus respectueux, et il a déjà tenté de revenir vers moi, en toute amitié, pour s’excuser. Mais désormais, c’est moi qui le rejette.

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     — Anjaaaa... gémit Tiphanie, complètement écœurée par toute cette histoire de fous. — C’est... C’est fini avec Kurt. Je te le jure !!! 

    — Hein ? Mais pourquoi ? 

    — Je m’excuse d’être tombée dans son filet Anja !! Exscuses moi !! En fait je vaux pas mieux que sa blonde siliconnée 95C... 

     — Ah tu l’as retenu ce détail ! éclate de de rire Anja, — moi aussi ça me frustre les 95 C, on se sent petites a côté hein !! 

    — Je plaisante pas Anja... Je suis vraiment écœurée là... 

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     — Dis pas de conneries Tif. Tout ce que je t’ai raconté là c’était il y’a perpèt. Kurt maintenant c’est un type bien et je veux pas que tu le jettes.

     — Oui, mais tu auras toujours mal en nous voyant, et ça, je le veux pas... marmonne Tiphanie. Entre toi et lui j’hésite pas plus de deux secondes hein... Kurt ce n’est qu’un mec... M’en fout d’lui moi ! 

     — Tous les deux, ça se fera jamais Tif. Je ne l’aime plus depuis bien longtemps ! Et puis quand vous regarde tout les deux, je vous trouve magnifiques, je pense que tu lui apporteras plus que cette poufiasse d’Elsa. 

     — Je vois pas trop ce que je peux lui apporter Anja... fais Tiphanie en haussant les épaules.

     — Tu es une fille simple Tif, et c’est ce qu'il faut à Kurt. Tu es comme moi finalement, sauf que toi, tu as su lui plaire. Alors là mystère, je sais pas comment tu t’es démerdé, vu que ce coquin a un penchant pour les filles très maquillées et pomponnées... 

    — Comment j’ai fait ? L’interrompt Tiphanie, j’ai débarqué au Bricks habillé comme une pouf et avec un pot de peinture sur la gueule...

     — Comme quoi ! rit Anja avec un air taquin, tu l’as vite cerné le coco ! En moins d’une semaine, tu as su l’accaparer mieux que moi pendant toutes ces années ! L’hallus ! Faudra que tu me donnes des cours de poufiasserie ma chérie ! 

     — T’as vraiment pas besoin de ça Anja... T’es sublime au naturel... Moi sans mascara ni fard à joues je suis un vrai thon... soupire Tiphanie, avant de sursauter, car la sonnerie du lycée se met à retentir.

     — Téh ? s’exclame Anja en regardant sa montre — oh putain, il est déjà 13 h 30 et on a même pas été bouffer !

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     — Ooooh mon dieu, fait Tiphanie en se grattant la tête, après qu’elle ai sauté de sa chaise comme une furieuse, j’ai posé un lapin a Kurt...

     — Tu rigoles ? Pouffe Anja, en éclatant presque de rire.

     — Nan... Il va râler tu crois ? demande timidement Tiphanie. 

    — À fond oui, rit maintenant Anja, il est très susceptible. Il va beugler comme un pou ! 

     — Arrêtes de rire, c’est pas marrant !!! boude Tiphanie.

     — Je sais, mais c’est plus fort que moi ! Kurt.. Tu as oublié Kurt ! éclate-t-elle maintenant, avec presque les larmes aux yeux, et pour moi en plus ! Holà, il va pas s’en remettre le pauvre chou ! 

    — On sera même pas resté ensemble une semaine, soupire Tiphanie en cherchant le sol du regard.

     — Mais il va pas te larguer pour ça voyons ! sourit Anja, il va râler, c’est tout. Kurt râle toujours ! Pour tout. C’est un grognon éternel ! Allez t’inquiètes pas, on va en cours pépère et tu lui fais les yeux doux dès que tu le vois ! T’as qu’à lui dire que t’as tes ragnagnas aujourd’hui, que ça te fatigues donc beaucoup et que tu as alors préféré rester tranquillement a la biblio !

     — Tu veux m’achever ? Ironise Tiphanie en prenant le chemin de la sortie, suivie de près par son amie, après le lapin je lui sors que j’ai mes règles... Comme ça j’ai l’image indélébile de la bouffonne, à vie !

     — Mais non, rassure Anja en se retenant de rire. 

     — Aaarrghh....Ca y’est.... J’suis foutue ! soupire tout bas Tiphanie, une fois arrivée devant la sortie de la bibliothèque.

      — Courage ma chérie, courage ! rit doucement Anja, je te jures qu’il est pas cannibale...!  

     — Anja... laisse tomber Kurt en fronçant les sourcils.

     — Quoi ? Rétorque celle-ci, qu’est-ce que t’as ? Tu veux ma photo ?

     — Non merci ça ira, voir ta sale face à longueur de journée me suffit déjà ! Je tiens à mes yeux... 

    — On dirai des gamins tout les deux là, intervient Tiphanie, est-ce que vous vous en rendez compte au moins ?

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      — C’est lui le gamin, marmonne Anja en entrant en classe, je vous laisse. Courage Tif ! Faut le supporter... 

     — Oué oué c’est ça, dégages, ça nous fera de l’air ! cingle méchamment Kurt en croisant les bras. 

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     — Je suis désolée... fait timidement Tiphanie, une fois qu’ils sont seuls dans le couloir. Je te jure que je voulais venir.. En fait on s’est mise à papoter et le temps a tourné.. Tourné.. 

    — Qu’est-ce qu’elle t’a dit sur moi ? L’interrompt Kurt, l’air préoccupé. — Des crasses... Elle t’a dit des crasses... Hein ?

      — N.. Non, balbutie Tiphanie, je te promets qu’elle a rien dit de méchant sur toi.. Bien au contraire... 

    — Je te crois pas... Elle ne peut dire que des saloperies sur mon compte. S’obstine Kurt, les dents serrées, avant de soupirer, — et c’est pour ça que tu m’as posé un lapin. 

     

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     Ho non...! Je te promets que ce n'est que de ma faute, j'ai complètement oublié, reprend Tiphanie, — tu sais moi j'ai une mémoire qui avoisine les trois secondes, j'ai bien réussi à oublier mon petit frère au Bricks la dernière fois... 

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     — Tu rigoles? fait Kurt en levant un sourcil.

    — Nan, malheureusement. J'ai bel et bien une mémoire de moineau.

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