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    Quelques heures plus tard, Kylian est en cours, déjà épuisé par cette semaine qui ne fait pourtant que débuter.

    Il doit encore tenir 5 jours ainsi...

    Vous n’auriez pas une corde pour lui ?

    Allez, soyez pas rats, un petit geste pour votre prochain, svp...

     

     

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    A quelques kilomètres de là, en plein centre-ville, Vanessa est une nouvelle fois confrontée aux critiques impitoyables de son chèr producteur, Lothar Campbane.

    — Tu m’as entendu ? La sermonne-t-il avec violence, comme il le fait toujours lorsqu’il est contrarié et mécontent.

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    — Oui... lui soupire-t-elle en baissant les yeux.

    — Et encore heureux qu’on en ait sorti que mille !

    Les Singles de la jeune fille ont fait un bide total dans les bacs. Elle n’en a vendu qu’une petite centaine, faisant ainsi perdre une certaine somme a sa maison de disque.

    — Je suis désolée...

    — Tu peux l’être ! Oh oui tu peux ! Car tout ça, c’est ta faute ! Madame « Je veux écrire mes chansons Lothar, non je ne veux pas qu’on écrive pour moi, je veux faire moi-même ! S’il te plaît Lothar ! Laisse-moi tout faire ! »

    — Je suis déso...

    — Désolée ! Oui ! Je sais. Tu ne sais dire que ça toi de toute façon ! « Je suis désolée » ! Tu devrais te la faire tatouer sur le front cette phrase ! Comme ça tu n’auras même plus besoin de m’adresser la parole !

    — Lothar...

    — Écoutes Vanessa, se calme doucement le manager de la jeune fille en essayant de retrouver son calme — tu sais, dans la vie, il y’a ceux qui inventent, ceux qui suivent, et ceux qui croient pouvoir inventer...

    La réflexion est blessante, mais la jeune fille préfère garder le silence. Elle perdrait son temps à réfuter ces arguments, car Lothar a toujours le dernier mot de toute manière... Et puis c’est lui qui gère sa carrière, alors c’est lui qui parle, décide et ordonne.

    — Tu ne vas plus rien écrire désormais, finit-il enfin par lui annoncer, — j’espère que tu as imprégné ?

    — C’est noté...

    — Et puis arrête de me faire cette tête de chien battu. Je dis ça dans ton intérêt.

    — C’est certain...

    — Si tu n’as rien à ajouter, on va en studio ?

    — D’accord...

    Elle l’énerve tellement à ne faire qu’acquiescer sans arrêt.

    Une personnalité. Voilà ce qu’il lui faut. Quelque chose qui la caractérise. Quelque chose qui la définit. Un style. Une façon d’être. Une attitude unique. C’est ce qu’il aimerait réussir à faire apparaître dans cet être introverti...

     

     

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    Enfin.

    L’heure de la pause déjeuner a enfin sonné.

    L’heure où tous les étudiants quittent avec empressement leurs salles de cours.

    L’heure de la liberté !

    L’heure où l’on retrouve ses amis pour se concerter afin de savoir où l’on va manger aujourd’hui. L’heure des retrouvailles pour les camarades séparés par des classes différentes. L’heure des ragots. L’heure de critiquer l’épisode de la série putride qu’on a vu la veille.

    — Bah il sait pas ce qu’il perd Amnésia, t’en fais pas pour ce looser va ! Console le jeune Lyn à son amie rouquine qui s’est gentiment fait remercier par ce garçon qui l’avait séduite en boite de nuit, il y’a quelques jours.

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    — Ouèp, il fait son malin parce qu’il a pas un rôle de figurant lui, alors il se sent plus, mais c’est clair qu’il sait pas ce qu’il perd ce bouffon ! Confirme la jeune fille avec fierté en gardant toute sa dignité. Après tout, elle n’attend rien de ce petit péteux à queue de cheval... Parce que de toute manière, elle a toujours préféré les blonds.

     

     

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    — Tif ? Ah, mais tu tombes mal parce que je débauche là ! Grommelle Kylian dans le combiné de son téléphone portable. Il sort à peine de sa salle de cours et traverse lentement, tel un mollusque fatigué, le couloir qui mène a la sortie de l’établissement.

    — C’est important, maman m’a appelée ce matin et je dois t’en parler.

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    — Gné ? J’aime pas quand tu parles comme ça toi, tu me fais peur !

    — Kyle... Bon, je vais aller droit au but, ça sera plus facile pour tout le monde.

    — Vas-y, accouche ma grosse ! Taquine le frangin à sa sœur bien-aimée.

    — C’est Lorelei. Elle a eu.... disons...

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    — Quoi Lorelei ?? Qu’est-ce qu’elle a eu ? Panique brusquement Kylian en sentant son cœur faire un bond violent dans sa poitrine — de quoi ?? De quoi ??

    — Déjà tu te calmes, et puis ensuite tu te dis que tu n’y pouvais rien de toute manière...

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    — Un accident ? Elle a eu un accident ? C’est ça.. ? Elle est à l’hosto ? File-moi l’adresse, je vais aller lui apporter des fleu...

    — Ça ne sera pas la peine Kylian...

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    C’est sans doute à ce moment-là qu’il a compris où sa sœur voulait en venir.

    C’est sans doute à ce moment-là qu’il a brusquement senti le sol se dérober sous ses pieds.

    C’est sans doute à ce moment-là qu’il s’est finalement senti le plus seul au monde.

    Le plus idiot.

    Le plus inutile.

    — Kyl ? Tu es encore là ?

    Physiquement ? Oui. Psychiquement, c’est une autre histoire.

    Il est perdu dans ses pensées.

    — Kylian.. Je sais que c’est dur, mais tu vas devoir être fort. Et puis on est là nous, hein.. Ça te dit de rentrer avec Kurt et de venir à la maison manger avec nous ce soir ? 

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    — Qu’est-ce qui lui est arrivé ? Elle a eu un accident ? Où ? Quand ? Comment ?

    Sa voix est devenue mécanique et tremblante.

    Il essaie de réaliser... En vain.

    Qu’essaie de lui annoncer sa sœur ?

    Il ne veut pas comprendre son message.

    Il est brusquement devenu idiot et il ne comprend plus rien.

    — Elle s’est suicidée en se jetant du haut de son immeuble.

    Accuser le coup ? L’expression est faible pour expliquer la torpeur dans laquelle l’adolescent est désormais plongé. Toute sa vie et ses souvenirs se mettent a défiler rapidement sous ses yeux. Il la revoit. L’amie de toujours. La probable amante, tendre et amoureuse. La jolie jeune fille, douce et chaleureuse, qu’il a rejetée la veille, sans aucune vergogne.

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    — Kylian ? lui fait soudain une voix calme qu’il pense reconnaitre.

    Kurt ?

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    Celui-ci semble s’avancer vers lui en passant la porte battante de leur université, pour le rejoindre sur le perron.

    Il affiche son habituel air calme et posé.

    — Tu vas rentrer avec moi, d’accord ? reprend-il une fois qu’il est arrivé a ses côtés.

    Il semblerait que tout son entourage soit déjà au courant de la situation... Puisqu’ils semblent tous vouloir le choyer et le consoler de la perte de sa meilleure amie... Ou plutôt du meurtre.

    Oui.. Du meurtre !

    Parce que c’est lui qui l’a tuée !

    — Je vais te laisser, j’ai entendu la voix de Kurt, reprend Tiphanie dans le combiné — rentre avec lui, Kylian. A tout à l’heure ! Bisous.

    Elle a raccroché, mais l’adolescent a toujours son téléphone collé à son oreille. Il n’est plus conscient de ce qui se dit ou se passe autour de lui. Il ne pense désormais plus qu’à une seule et unique chose : il n’est qu’un vulgaire meurtrier. Un assassin de la pire espèce.

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    — Tu peux raccrocher, lui conseille tranquillement son beau-frère, planté devant lui — elle n’est plus à l’autre bout du fil...

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    — Je l’ai tuée Kurt... gémit soudain Kylian d’une voix faible qui semble sortir du plus profond de ses entrailles.

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    — Rectification Kyle, « elle » s’est tuée. En se jetant du haut d’un immeuble... C’est tragique, mais tu n’y es pour rien.

    — Hier, je l’ai envoyée balader et... bref c’est ma faute... C’est vraiment à cause de moi si...

    — Je t’ai dit de poser ce téléphone.

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    — Mais je m’en fous de ce téléphone !!

    D’un geste violent, il envoie l’objet valser a quelques mètres en face, pour qu’il s’explose contre l’une des colonnes de l’établissement.

    — Kylian, ou « comment exploser trois cents balles en trois secondes. » soupire Kurt, l’air désabusé,

    — Ta gueule !!!

    Il ne devrait pas reporter toute sa colère sur son beau-frère ; sachant que celui-ci n’est là que pour le soutenir ; il le sait bien, mais c’est plus fort que lui. Il doit déverser sa rage sur quelqu’un.

    — Circulez, y’a rien à voir, annonce froidement Kurt à quelques étudiants curieux qui se sont discrètement rapprochés pour assister à cette scène désormais bruyante.

    L’air glacial de Kurt les impressionne rapidement et la foule se dépêche de se disperser.

    Désormais seul sur le perron, Kurt attrape vivement son beau-frère pour le ramener contre lui et le consoler.

    — Tu n’es pas responsable, c’est tout ce que tu dois retenir... Maintenant, si ça te dit, on va a la maison rejoindre Tiphanie et on passe l’après-midi tous les trois. Tu as des cours importants ou tu peux te permettre de sécher ?

    L’adolescent ne répond rien, préférant laisser sa tête reposer sur l’épaule de son beau-frère pour mieux se laisser bercer par ses souvenirs.

    — Je prends ton silence pour un « oui, je peux sécher, parce que moi Kyky je sèche toujours de toute façon !! », reprend alors Kurt avec un petit rire pour remonter le moral de son comparse.

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