• 001

     

    *      *

    *

     

     Jeudi 18 avril, 10 h 30


    Une famille arrive enfin sur Berlin, après de nombreuses heures de route. Le voyage été long et épuisant.

    Ils emménagent dans leur nouvelle maison qu’ils ont acheté du premier coup en faisant un gros crédit.

    — Youhouuuh on est à Berliiin, chantonne Sacha, apparemment fou de joie.

    Et pour cause, Berlin, c’est sa ville natale : il y a grandi, y a été élevé, et a toujours voulu y finir ses jours. Malheureusement pour lui, il y’a 12 ans, peu après la naissance de leur son deuxième enfant, on a proposé un poste plus qu’alléchant à son épouse, sur Mannheim, petite ville plus au sud.

    Sans se poser de questions, ils ont donc déménagé, mais ce fut un véritable déchirement pour ce Berlinois amoureux de sa ville.

     — Les affaires arrivent quand ? Maugrée Kylian, boudeur ; quitter son lycée, ses amis, en plein milieu d’année, ne fait plaisir à aucun adolescent de quinze ans normalement constitué.

     — Demain, répond Claire en soupirant.

    Elle non plus n’apprécie pas du tout de revenir sur Berlin : ils sont là, car il a été proposé à son époux une nouvelle place, dans une nouvelle boîte, ici. Il est infographiste, il gagnait déjà bien sa vie sur Mannheim, mais il a voulu à tout prix saisir cette nouvelle opportunité, prétextant qu’à l’époque, « ils avaient déjà bougé pour elle, alors maintenant, ils peuvent le faire aussi pour lui ».

    Sauf qu’à l’époque, il ne travaillait pas, alors ça ne lui dérangeait pas plus que ça de déménager.

    001

    — Hey, on va la faire construire quand, la troisième chambre ? Rappelle Tiphanie. Il ne faudrait pas qu’ils oublient ce qu’ils lui ont promis, car elle n’a pas l’intention de partager une chambre unique avec son petit frère, plus de deux semaines pour dépanner. Elle a dix-huit ans quand même.. À son âge, on a une chambre pour soi, normalement ! 

     — Dès qu’on a des sous ma chérie ! lui répond Sacha, toujours en chantonnant.

    — Ça veut dire qu’on becte des pâtes jusqu’à ce que vous ayez remboursé le crédit de la maison ? Boude Kylian.

    Il est de mauvaise humeur, il a envie de râler, et tout le monde doit le savoir. C’était un caprice ce déménagement, personne n’est dupe : son père était trop content de revenir sur Berlin, alors il a pris le prétexte du sois-disant salaire doublé qu’il aurait dans cette nouvelle boîte... 

     — Dépéchez-vous, on va voir tout ça de plus près, fait Claire en s’avançant vers la maison. 

    001

     — C’est déjà meublé en plus chérie !! signale Sacha pour essayer de faire sourire sa femme.

    — Moué... se contente-t-elle de grommeler celle-ci sans s’arrêter.

    Non, décidément, elle ne s’y fera jamais. Quitter son boulot génial de maquilleuse pour le suivre dans son caprice, elle n’arrivera jamais à l’accepter. Là-bas, ils avaient tout, des boulots, leurs amis, une grande maison a la campagne, d'excellents salaires...

    001

     — Tu viens ou tu continues à chanter ? Marmonne Kylian, parce que si à peine arrivés on se tape les plaintes des voisins, ça va ptèt pas l’faire ! 

    — Tu insinues que je chante mal fils indigne ??

     — Et je fais pas qu’insinuer... Mais dans la catégorie « casseroles », t’aurais quand même tes chances de briller ! 

     — Han, tu me fend le coeur !

    — Même l'emplacement de la maison pue, on est loin de la ville, grogne encore Kylian, dépité.

    Sacha soupire devant tant de mauvaise humeur. Ils ne sont décidément tous bons qu’à râler, tous autant qu’ils sont, alors que ses enfants seront bien, ici ; ils se feront de nouveaux amis et sa talentueuse épouse, elle se retrouvera un nouveau boulot surement sans la moindre difficulté. Mais non, malgré tout cela, il n'y en a pas un seul qui positive ! Alors qu’on lui double son salaire ici quand même ! Mais ça, personne n’y pense. Enfin si, son père, lui il est ravi de le voir revenir sur Berlin ! Mais c’est bien le seul !

    — Dans deux semaines maxi, papa ? lui demande sa fille, en se décidant à suivre le mouvement de la troupe.

    Ca y’est, elle revient a la charge avec sa chambre elle ! Ils ont décidément tous l’intention de lui gâcher sa joie aujourd’hui...

    — J’sais pas. Se contente-t-il de répondre froidement, on verra. Si t’es sage.

    — OK, alors ça veut dire non. Marmonne-t-elle. Et si on met Ophélia avec Kylian et moi j’prends sa chambre, ça le fait pas ?? Elle pourra pas râler de toute façon... termine-t-elle en soupirant.

    Et pour cause. Ophélia Gutter est sourde et muette depuis toujours, alors c’est sûr qu’elle ne pourra pas exprimer son mécontentement.

     — Encore une réflexion de ce type et tu en manges une Tif. La cingle sévèrement Sacha, n’appréciant pas qu’elle tente d’abuser du handicap de sa sœur pour obtenir ce qu’elle désire.

     — Alors ?? Verdict ?? demande Sacha, une fois que toute sa petite famille a pénétré à l’intérieur de leur nouvelle maison.  

     — Horrible, hideux, y’a pas d’autres mots, lui répond Claire. Sinon, c’est normal que sur les photos qu’on a vues, il n'y avait pas ce papier peint affreux... Ou plutôt.. Carrelage ?! Mon dieu, on nous a foutu des murs en carrelage... 

     — Bah on pourra refaire la tapisserie, fait Sacha, penaud.

    — Et comment... reprend sa femme, et la couleur, tu as vu la couleurs ? Rose... 

     — Heeeey maman regardes, fait soudain Kylian en se dirigeant vers une des fenêtres de la salle de séjour, comment le jardin il est trop petit et pourrave !! C’est même pas le quart de notre ancien, trop naze !

     — Je te le fais pas dire... confire sa mère en s’avançant a son tour dans la pièce.  

      — Sérieux vous avez acheté ça ? Elle est trop laide cette maison...

     — Mais non elle est pas laide ! rétorque Sacha, on va la remeubler et refaire la tapisserie et elle sera géniale ! Les plans sont super, alors le résultat final sera super !

    — Même la cuisine est rose... soupire Claire en levant les yeux au ciel, blasée. 

     — Hey, maman, c’est où les chambres ? interroge Kylian, pressé de découvrir son « antre ». — En haut je suppose, lui répond celle-ci.

      — Le salon, il est rose aussi maman, fait remarquer Tiphanie en riant, c’est la maison de Barbie en fait, je crois, c’est trop fort !

     — Fermez-la un peu maintenant, commence à s’agacer Sacha. Vous commencez a devenir pénibles, tous autant que vous êtes !

    — Et c’est nous qui sommes pénibles... marmonne Claire en haussant les épaules.  

     Quelques heures de découverte et de mauvaise humeur plus tard, il fait maintenant nuit sur Berlin et chacun s’occupe comme il peut dans cette maison bien... vide.

      — J’vais appeler Elo, annonce Tiphanie en sortant de la chambre qu’elle est censée occuper avec son frère. J’vais lui dire la taille de notre chambre, elle va trop rire.  

     — C’est clair que tu prends de la place avec ton gros cul toi, se moque Kylian sans lâcher son jeu vidéo : il est pas fou, il a emmené son précieux pc avec lui dans la voiture.  

    — La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe, lui répond l’adolescente sans s’offusquer.

     — Et avec la chance que j’ai, tu vas voir qu’il y’aura pas la ligne, poursuit-elle assez fort pour que son cadet entende ses lamentations. 

    — C’est même fort possible, répond celui-ci en riant à moitié. 

     — Parle pas de malheur... soupire-t-elle en composant le numéro de sa meilleure amie, qui est restée à Mannheim.  

    Les Kent, les meilleurs amis des Gutter, qui vivaient aussi dans cette ville qu’ils aimaient tant, en tant que voisins. Un caprice ! Son père n’a fait qu’un vulgaire caprice, sans penser à ce que pourrait ressentir sa famille. 

    001


     — Kylian ? marmonne soudain Tiphanie, en se préparant à raccrocher le téléphone.

     — Ouai ? Réponds le concerné, toujours dans sa chambre. 

    — Tu portes la poisse p'tain ! Y’a pas la tonalité ! 

    « 013002 »